Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

lundi 21 novembre 2011

Sun Tzu : pourquoi les Chinois travestissent-ils l'Histoire ?

Aujourd'hui, nous vous proposons un nouvel article de Yann Couderc, notre spécialiste de Sun Tzu afin de lever le voile sur les efforts chinois pour modifier la date de naissance du père de la stratégie. Merci pour sa contribution à "L'echo du champ de bataille" et bonne lecture.

Il est extrêmement rare de trouver un texte chinois faisant vivre Sun Tzu à une autre période que celle dite des  "Printemps et des Automnes", c’est-à-dire entre 722 et 476 av. J.-C. Ces dates correspondent en effet à celles données dans un classique chinois, "Les mémoires historiques", datant de la fin du Ier siècle av. J.-C. Selon Sima Qian, son auteur, Sun Tzu aurait été un contemporain de Confucius et aurait fait cadeau en 512 av. J.-C. de son traité au roi. Ce dernier, inspiré par cet enseignement, aurait alors réussi à s'emparer des territoires voisins. Or la plupart des historiens s’accordent pour reconnaître que "L’art de la guerre" ne peut avoir été écrit à cette époque, mais plutôt durant la suivante, dite des "Royaumes combattants" (entre -476 et -221), et plus exactement durant la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.

Pourquoi  alors, si les experts ont prouvé cette datation[1], tant d’ouvrages chinois continuent-ils de se référer à la chronologie fantaisiste de Sima Qian ?
Une hypothèse personnelle est que, pour les Chinois, la question de la date de naissance de Sun Tzu pourrait être une question d’honneur. En effet, si le VIe siècle av. J.-C. devait effectivement être retenu, il ferait incontestablement de Sun Tzu le plus ancien stratège du monde. En revanche, si l’écriture du traité ne devait plus remonter qu’à une date proche de -300, les Chinois pourraient alors craindre que la paternité de la stratégie leur soit volée par des auteurs occidentaux tels Enée-le-tacticien[2] voire même indiens comme Kautilya[3]. Il serait également possible qu’ils redoutent que des écrits proto-stratégiques, légèrement antérieurs à la date d’écriture communément admise de "L’art de la guerre" refassent un jour surface.

Pourtant, si cette stricte antériorité chronologique venait à être démontrée (ce qui semble d’ailleurs peu probable), la différence de profondeur entre Sun Tzu et nos penseurs antiques serait de toute façon très largement en faveur du premier. En effet, comme le souligne Hervé Coutau-Bégarie dans son "Traité de stratégie", la quasi-totalité de la tradition stratégique de l’Antiquité gréco-romaine consistait en traités spécialisés (Enée-le-Tacticien), en recueils de stratagèmes (Frontin), en récits de campagnes par les historiens (Thucydide, Polybe, Tacite, Flavius-Josèphe) ou en mémoires de guerre (Xénophon, César). Les Grecs, qui nous ont énormément transmis en philosophie, ne nous ont paradoxalement pas laissé de véritable littérature stratégique. En outre, les Romains, en dépit de leur éblouissante réussite stratégique, n’ont pas non plus eu de production livresque en rapport avec leur histoire militaire.

Certes, Enée le tacticien a composé un vaste traité. Mais ce dernier ne peut réellement être rattaché à la stratégie : il ne posait par exemple nullement le problème central de l’articulation entre la politique et le militaire. Ces thèmes étaient pourtant réfléchis à cette époque, comme en témoignent les écrits de Thucydide[4].

Le premier véritable auteur de niveau stratégique, Végèce[5], n’apparaît qu’au du début du Ve siècle (ap. J.-C. !...). S’il a bien eu une influence immense jusqu’au début du XIXe siècle (il était encore réédité aux États-Unis durant la guerre anglo-américaine 1812-1814), son contenu paraît bien fade en regard de celui de Sun Tzu. Aujourd’hui, à l’exception de sa maxime "Si vis pacem para bellum", il ne nous reste plus guère d’enseignements à garder de son traité, qui n’a dès lors plus de valeur que pour les historiens. Alors que "L’art de la guerre" demeure, quant à lui, plus que jamais une référence pour les stratèges.

Ainsi, pendant plusieurs siècles (voire millénaires), aucun écrit n’aura eu la profondeur de "L’art de la guerre" de Sun Tzu. Cette hypothétique volonté chinoise de s’attribuer la paternité du premier traité de stratégie paraît donc bien inutile...



[1] De nombreux éléments sont en effet anachroniques, comme l’organisation militaire décrite (généraux de carrière, troupes d’élite, etc.) ou certains équipements évoqués (arbalète, armure pour les fantassins, …). De même, la stratégie basée sur la duperie qu’élabore Sun Tzu n’existait pas encore à l’époque des Printemps et des Automnes où la guerre était ritualisée et chevaleresque. Certains idéogrammes chinois du texte originel ne sont également apparus que plus tardivement. Enfin, la forme même du traité (un ouvrage structuré dont les idées personnelles se développent selon un schéma rationnel, plutôt qu’un recueil d’aphorismes) n’apparaîtra que plus tard. Notons enfin qu’aucune mention n’est faite de Sun Tzu dans le Zuo Zhuan, ouvrage pourtant de référence écrit au Ve siècle av. J.-C !
[2] Enée-le-tacticien est le plus ancien stratège occidental connu. Militaire grec du IVe siècle av. J.-C., il est l’auteur de plusieurs traités, dont seul celui sur La poliorcétique nous est parvenu.
[3] Kautilya est l’auteur, au IIIe ou IVe siècle av. J.-C., de l’Arthashâstra, ouvrage de politique, d'économie et de stratégie militaire.
[4] Thucydide est un homme politique et historien athénien du Ve siècle av. J.-C., auteur de l’Histoire de la guerre du Péloponèse.
[5] Végèce est un médecin et écrivain militaire romain de la fin du IVe siècle et du début du Ve ap. J.-C.. Auteur de De Re Militari (« Traité de l’art militaire » ou « Abrégé des questions militaires »), ouvrage ayant eu beaucoup d'influence au Moyen Âge, il sera le premier à tenter une synthèse de tous les aspects de la stratégie et de la tactique héritées de Rome.


2 commentaires:

  1. Effectivement, on aurait beaucoup à apprendre des principes de Sun Tsu qui pour certains n'ont pas pris une ride. A ce propos, un excellent article de la dernière revue de la Défense nationale du même auteur que cette réflexion est à lire et à méditer. Il s'interroge en effet sur la pertinence de l'enseignement de Sun Tsu dans les écoles militaires françaises.

    RépondreSupprimer
  2. "pourquoi les Chinois travestissent-ils l'Histoire ?" un titre bien provocateur ... beaucoup de bruit pour rien selon moi. déjà l'orthographe de sun tzu version occidentaliser est tellement nombreux qu'on sait pas sur quelle saint se fier , d'autre part les experts chinois ne sont même pas sur que les autres écrits sont bien du même personnages dont le nom change donc pourquoi il faut modifier la date des manuels officiel s'ils ne sont pas sur ? de toute façon en il est quasiment impossible qu'un jour on retrouve le reste des écrits sur l'art de la guerre ou son auteur car les guerres , les révoltes et les révolutions ,les périodes sous domination étrangères, les vols d'œuvres d'arts ... l'accumulation de tous ces évènements ne permet pas la sauvegarde des écrits, les écrits originaux ont très bien pu finir en bois de chauffage pour des paysans ne sachant pas lire le contenu, ou détenu par des marchants d'arts dans un pays inconnu car les vols ont été menu courant sous dominations étrangère(Europe/japon), ou tout simplement détruit lors des guerres (rouleaux de bambous ... c'est un excellent combustible),l'art de la guerre de Sun Tzu peut très bien être qu'une copie d'une copie transmit et que le vrai nom a été modifier ou déformer au fil de l'histoire de la retranscription et même probable que l'histoire du personnage a aussi été modifier... d'autre part il est très fréquent qu'un général change le nom lorsqu'il se met au service d'une autre nation dans cette époque de la construction chine en guerre permanant, et les auteurs de poème chantant les histoires héroïques travestissent souvent l'histoire tout en conservant ce qui peut être utile. les auteurs eux même change de nom pour éviter la censure ou la mise a mort... un général condamne a mort car le roi a des rancunes contre lui peut très bien effacer son nom ... son histoire... des annales militaire et historique de cette époque ... et que malgré cela certain auteur raconte sont histoire en modifiant le nom pour ne pas être mis a mort ... etc. ... tout est possible ... (enfin pour ceux qui ont déjà essayé de faire des recherche historique sur tel ou tel personnage dans les archives ou dans les lieux historique... c'est extrêmes complique)

    RépondreSupprimer