Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

jeudi 22 décembre 2011

A l’ère de la technique et des conflits asymétriques, reste-t-il de la place pour la manœuvre ? (1/2)


Pour commencer un cycle sur les problématiques liées à la contre-insurrection et les guérillas voici la première partie d'une réflexion sur la manoeuvre sous le prisme des conflits asymétriques. Bonne lecture et à vos commentaires.

Après avoir écouté une conférence du professeur COUTAU-BEGARIE, un des plus célèbre stratégistes français, j’ai souhaité faire part de mon point de vue sur l’un des aspects les plus prégnants de la tactique, à savoir la manœuvre.
En effet, JOMINI, en son temps, rappelait déjà aux militaires que « la supériorité dans l’armement peut accroître les chances de succès à la guerre ; en elle-même, elle ne gagne pas les batailles. »
En outre, les champs d’affrontement contemporains, avec l’apparition d’adversaires qualifiés d’asymétriques et définis par le professeur COUTAU-BEGARIE de « persistance des guérillas traditionnelles sans encadrement idéologique moderne », pose la question de la pérennité des outils de la stratégie. Ceci, d’autant que cette menace s’appuie généralement sur des milieux contraignants et se développe au cœur des populations.
Aussi, s’agit-il de s’interroger sur le rôle, pour les armées modernes, de la manœuvre, modalité stratégique qui, à base de mouvement cherche à agir sur les points faibles de l’ennemi.
Plus que jamais, il apparaît que la manœuvre, tout en s’appuyant sur la supériorité technologique, doit retrouver un rôle central dans la conduite des stratégies menées dans les opérations actuelles.
Dès lors, même si ce début de XXIème siècle semble consacrer le primat de la technologie et la victoire du combattant irrégulier, l’histoire démontre que la manœuvre a toujours permis d’effacer le progrès technique ou les effets militaires des guérillas mais aussi qu’elle demeure essentielle dans la résolution des conflits asymétriques.


Les mirages de l’ère hyper technologique et asymétrique

La RMA ou révolution dans les affaires militaires a, dans les années 1980 et 1990, persuadé les armées occidentales que le recours à des équipements, de plus en plus pointus technologiquement, allait leur donner une supériorité définitive sur l’ensemble des menaces militaires. En stratégie, « l’école de la Transformation » soutient cette idée en s’appuyant sur les campagnes de 1991 en Irak ou encore de 1999 au Kosovo. C’est ainsi que se sont développés les concepts de « zéro mort », de tirs en « stand off »[1] ou de frappes chirurgicales sensées désorganiser le système de commandement ennemi. Le colonel (US) WARDEN  a alors décliné et développé une approche exclusivement aérienne dite de « targeting » sur cinq cercles pour paralyser l’adversaire. De la même façon, l’utilisation accrue de l’espace avec des satellites d’observation, de géo-localisation ou de communication permet de s’affranchir des frontières, d’optimiser le renseignement en temps réel et de délivrer des feux à longue distance avec une grande précision. Les forces militaires, au format de plus en plus réduit au regard des contraintes démographiques, financières et sociologiques des pays développés, cherchent ainsi à acquérir des équipements leur permettant de se protéger et de s’affranchir au mieux du brouillard et des aléas de la guerre. Dans ce cadre, le général CUCHE, alors chef d’état-major de l’armée de Terre, affirmait en 2008 que « les systèmes dits de numérisation du champ de bataille ont constitué de remarquables réducteurs de frictions. » En effet, l’objectif du commandement est d’avoir une vue la plus exhaustive possible de la situation afin d’agir après une boucle de décision OODA (orientation, observation, décision, analyse) resserrée. ROMMEL, dans ces carnets de campagne soulignait déjà cet impératif en rappelant qu’ : « un commandant en chef se doit de posséder une bonne connaissance du terrain, de connaître la position ennemie et celle de ses troupes. C’est souvent la meilleure vue d’ensemble qui emporte la décision sur le champ de bataille et non la plus grande habileté tactique de l’un ou l’autre des généraux opposés ».

Néanmoins, cette « technolâtrie »[2] a malheureusement conduit à des échecs militaires et à des impasses stratégiques qu’il convient de reconnaître. L’échec des opérations israéliennes face au Hezbollah en 2006, les difficultés de la coalition en Afghanistan malgré des moyens considérables mis en œuvre, démontrent s’il en était besoin, que les adversaires potentiels ont compris la nécessité de mener des stratégies alternatives pour contrer la supériorité conventionnelle des armées modernes. Les militaires semblent alors redécouvrir le constat du général BEAUFFRE qui, il y a 50 ans, dénonçait déjà « cette attitude d’apparence réaliste qui conduit à considérer les stratèges comme des attardés prétentieux et à concentrer les efforts sur la tactique et le matériel, au moment où la rapidité de l’évolution requiert une vision d’ensemble particulièrement élevée. » Il est vrai, qu’aujourd’hui, les engagements opérationnels interviennent sur des théâtres où l’adversaire asymétrique conduit des modes d’action,  certes parfois anciens (harcèlement, embuscade,…), mais qui rendent difficile la réaction des militaires dans un contexte où les contraintes juridiques (statut des combattants irréguliers, droit international) politiques (terrorisme, engagement multinational) et médiatiques sont de plus en plus importantes. De plus, les insurgés cherchent à entraîner les forces régulières dans des milieux complexes (montagnes tchétchènes, zones urbaines de type Faloudjah en Irak) car ils savent que « ces milieux sont égalisateurs de puissance »[3] et qu’ils permettent l’imbrication avec la population civile. La technologie, et la stratégie qui découle de sa généralisation, ne suffit plus à apporter la victoire sur ces nouveaux champs de bataille et pousse le stratège à se tourner vers l’histoire pour apprécier la valeur des principes fondamentaux.

L’emploi de la manœuvre dans l’histoire ou comment s’adapter aux nouvelles formes de guerre.

Il faut tout d’abord rappeler que la manœuvre est l’antithèse du choc, dans la mesure  où, au lieu de vouloir aborder l’ennemi de manière frontale, elle cherche à trouver les failles qui permettront de le désorganiser, de le dissocier afin qu’il perde sa capacité combattante. Il convient donc bien de revenir sur l’expérience historique pour démontrer la véracité de l’emploi de la manœuvre, considérant, comme CHURCHILL « que ceux qui oublient leur passé se condamne à le revivre. »

De nombreux auteurs comme Fuller ont rappelé dans leurs écrits le primat de la manœuvre, associée à d’autres facteurs, pour obtenir le succès en stratégie. C’est le cas de Sir LIDDELL HART qui dans son livre « Stratégie » cherche à démontrer l’importance de l’approche indirecte, faite de mouvements, d’exploitation rapide, de raids éclair et de surprise. Aussi, rappelle-t-il la manœuvre d’HANNIBAL en Italie en 218 avant notre ère pour surprendre les Romains à Cannes, l’efficace et fulgurante mobilité des cavaliers de BELISSAIRE  au 6ème siècle face aux Perses ou aux Vandales ou encore la campagne de MALBOROUGH en Allemagne en 1704. Mais c’est surtout Napoléon qui fera de la manœuvre sont outil privilégié, en tactique avec l’emploi de ses trois colonnes de marche et l’emploi décentralisé des corps d’armée, mais aussi au niveau stratégique avec sa campagne italienne ou de celle qu’il mène en France en 1814. Dans cet esprit, il insiste sur « le besoin de multiplier la masse par la vitesse » et considère que « tout le secret de l’art de la guerre consiste à se rendre maître des communications ». Tout repose sur la capacité à déstabiliser l’adversaire, à le priver de ravitaillement, de chemin de repli ou d’opportunité à se concentrer. Plus tard, la Blitzkrieg allemande, entre 1939 et 1941, avec la manœuvre coordonnée au choc et au feu au travers du couple char-avion permettra de remarquables opérations d’enveloppement et de rupture stratégique en Pologne, en France et en Russie. Mais au-delà de cette approche stratégique classique, d’autres enseignements prouvent que la manœuvre peut-être efficace face à un adversaire irrégulier. Tout d’abord, Charles CALDWELL, dans son livre « Petites guerres » paru au début du XXème siècle, évoque l’action efficace des armées impériales russes prenant de vitesse et surprenant les guerriers kirghizes pour s’imposer dans le Caucase ou encore les campagnes des « Camel corps » anglais contrôlant les points d’eau du désert égyptien pour vaincre les rebelles soudanais du Mahdi. Plus tard, le général HURE, responsable de la pacification du Maroc dans les années 1930 relate, dans ses mémoires, l’importance de la manœuvre couplée à l’aviation et aux automitrailleuses pour infiltrer les sanctuaires adverses au cœur  des montagnes. Plus récemment, la manœuvre du maréchal DE LATTRE en Indochine pour freiner, fixer puis détruire les unités Vietminh à Na-San demeure un remarquable exemple de mode action manœuvrier. Enfin, dans le livre de Mériadec RAFFRAY « Les victoires oubliées de l’armée rouge », l’auteur souligne l’action redoutable des forces spéciales soviétiques face aux « moudjahidines » en Afghanistan, stratégie consistant à créer l’insécurité sur les lignes de ravitaillement et de commandement afghanes.
Dès lors, fort de cette constante stratégique historique, il paraît essentiel de replacer la manœuvre au cœur des conflits contemporains. A suivre...





[1] Tirs hors de portée des feux adverses.


[2] Général CUCHE, CEMAT, 2008.


[3] Ibid.

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