Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

jeudi 1 décembre 2011

Vous reprendrez bien un peu de Sun Tzu ? ou un bel exemple du scepticisme à avoir vis-à-vis d’Internet.

Notre spécialiste de Sun Tzu, Yann Couderc, nous fait part d'une observation iconoclaste sur les principes de ce grand stratège et surtout leur utilisation, y compris fallacieuse. Merci pour sa contribution à L'écho du champ de bataille et bonne lecture...

Je viens tout juste d’assister à une conférence où l’intervenant, pour illustrer son propos, mettait en exergue cette citation de Sun Tzu : « L'affaiblissement ou l'élimination d'un adversaire est possible grâce à un usage habile d'une rumeur ponctuelle ou répétitive savamment diffusée. »
Cet apophtegme issu de L’art de la guerre servait alors à illustrer comment il était possible de mettre à terre un concurrent par le seul usage de la désinformation; assertion aujourd’hui évidente. Cette citation est régulièrement utilisée : référencée sur de nombreux sites Internet et dans au moins un ouvrage ayant trait à la thématique de la guerre informationnelle [1], elle figure même au sein d’une publication officielle de la Défense, « Les cahiers du CESAT » (numéro de septembre 2005). Cette citation venue du fond des âges s’avère donc indubitablement visionnaire et particulièrement contemporaine. Bref : du grand Sun Tzu !
Sauf que… Sun Tzu n’a jamais tenu ce propos.

Sun Tzu expose bien qu’une guerre ne peut se gagner sans renseignement : « Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d'une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce […] aux renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l'adversaire » [2].Plus loin, il déclare également qu’il faut chercher à désinformer l’adversaire : « Il faut charger [des espions] de répandre de fausses rumeurs pour intoxiquer l'ennemi. » Mais à aucun moment il ne fusionne ces deux idées en affirmant qu’une guerre pourrait se gagner seulement en désinformant l’ennemi.
Comment donc a-t-on pu voir un jour apparaître cette citation apocryphe, reprise, depuis lors, à l’envie par tous ceux ayant à écrire sur la désinformation ? Si une recherche succincte ne nous a permis que de remonter à un article écrit en 1999 et intitulé « Les origines de la guerre de l'information », il ne nous a pas été possible de déterminer la source exacte - et surtout les raisons - de cette fausse information.
Néanmoins, quelle qu’en soit l’origine, cette situation devient ironique lorsque l’on sait que ce même Sun Tzu prête son nom à un championnat inter-écoles et interentreprises d’« instrumentalisation des attaques informationnelles », et donc concrètement de manipulation de l’information. Le « trophée Sun Tzu » (photo de début d'article), puisque c’est son nom, a pour finalité affichée de faire rentrer l'orchestration de la rumeur dans la stratégie d'entreprise.

Cet exemple illustre bien, selon moi toute la réserve qui doit être prise vis-à-vis de l’information diffusée sur Internet. Bien plus que pour le support papier, la facilité du copier-coller à outrance peut sans grande difficulté faire passer une information erronée pour vérité d’Evangile. Je ne dis bien sûr là rien d’original : ce sujet a été traité et retraité au point d’en devenir un poncif. Mais aujourd’hui je me permets de faire moi la piqûre de rappel…
De sa tombe, avec son trophée éponyme, Sun Tzu nous offre donc là un bien sympathique retour de bâton.


[1] Raoul Rouot, Les mouettes – Chroniques de la crédulité ordinaire, éditions Le manuscrit, 2004.
[2] Sun Tzu, L’art de la guerre, traduction de Jean Lévi, éditions Hachette, 2000, chapitre 13.

1 commentaire:

  1. Abraham Lincoln le disait déjà, il faut se méfier d'internet. Blague à part, votre post est absolument pertinent : j'ai vu tellement de bêtises passer dans des propositions d'articles ou des mémoires d'étudiants que je deviens totalement paranoïaque. Sans même parler des risques de plagiats induits, justemment, par cette falicité du copy/paste...

    Et félicitations pour ce blog, preuve sans doute qu'internet n'est pas à jeter intégralement aux orties !

    Bien cordialement,

    JH

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