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vendredi 27 janvier 2012

La guerre sans pétrole : talon d'Achille ou rupture stratégique pour les armées de demain? (2/2)


Afin de compléter mon dernier post, je vous propose la seconde partie de l'article consacré à l'impact stratégique des problématiques pétrolières, étude que j'avais fait paraître, l'année dernière, sur le site de l'IFRI. Bonne lecture...


3-      Repenser les systèmes d’armes pour réduire la part des hydrocarbures.

Aussi, convient-il de réfléchir en France et en Europe à des solutions nouvelles pour que l’armement du futur demeure efficace sans contraintes excessives liées à la dépendance de la logistique pétrolière. En premier lieu, l’énergie solaire semble être un moyen facile à exploiter pour mettre en œuvre des systèmes d’armes dépendant largement aujourd’hui de besoins électriques même si, pour l’heure, il faut limiter cet effort aux équipements dont la vulnérabilité aux attaques adverses est limitée[1]. On peut citer, dans ce cadre, les drones MALE ou encore les équipements permettant la surveillance, la communication et la numérisation sur le champ de bataille (C4I). Les avions de combat pourraient, eux aussi, s’inspirer de cette technologie pour certains vols à haute altitude afin de limiter l’usage du kérosène aux phases de combat ou augmenter l’autonomie sur des hippodromes d’attente à l’image des performances du prototype Solar Impulse ayant volé près de 82 heures grâce au rayonnement solaire.


De surcroît, les avancées réalisées dans le développement des batteries au lithium (qui équipent les fantassins de type FELIN) ou la recherche en matière de piles à combustion (hydrogène) doit être poursuivie car encore balbutiante. Pour la marine, l’apport du vent avec les prototypes à « turbo voiles » pourrait retrouver sa pertinence tout comme les bateaux à énergie solaire dans un monde où : « de la maîtrise des océans dépendent notre sécurité, notre dynamisme économique et notre positionnement mondial [2]». Ce système, apparu en 1984 sur le bateau Alcyone, utilise le vent par l’intermédiaire de tubes cylindriques fixés sur le pont et permettant une vitesse de 12 nœuds pour un vent de 30 nœuds (soit une économie de carburant allant de 15 à 35%).
Par ailleurs, il semble essentiel de travailler sur de nouveaux matériaux afin d’assurer la protection de nos personnels et de nos équipements avec des structures beaucoup plus légères et nécessitant ainsi beaucoup moins de puissance pour être déplacées. A titre d’exemple, le nouveau petit véhicule protégé de l’armée de Terre (PVP) pèse encore 6 tonnes, et le véhicule blindé de combat de l’infanterie (VBCI) atteint pour sa part les 30 tonnes. L’apport des applications liées aux nanotechnologies pourrait ainsi être décisif même si, dans ce domaine, la dépendance vis-à-vis de la Chine, qui détient 90% des réserves en métaux rares, demeure préoccupante. Aussi, constate-t-on que la DGA[3], quant à elle, réfléchit déjà à l’apport des nanotechnologies pour alléger et diminuer la vulnérabilité des matériels (fibres « toile d’araignée » très résistantes) mais aussi pour développer des matériaux énergétiques innovants, ou encore miniaturiser les batteries électriques indispensables à l’optronique ou à l’infovalorisation[4] des équipements[5]militaires.

4-      Une Europe en panne d’innovation face à une rupture stratégique possible sur le long terme.

Malheureusement, cet effort indispensable ne semble pas être une priorité des pays européens dont les contraintes budgétaires liées à la crise financière conduisent à des retards de renouvellement de certains équipements et au maintien en service de systèmes« énergivores » d’ancienne génération. Ainsi, la baisse des dépenses de défense s’accroît d’une anuité sur l’autre. Ceci fragilise les armées européennes aux formats de plus en plus contraints même si la diminution du nombre est sensée être compensée par des équipements de haute-technologie, ces derniers demeurant pourtant dépendants de leur approvisionnement en essence. L’armée américaine, lors de l’invasion de l’Irak en 2003 avait été, en partie pour cette raison, contrainte, au bout de 10 jours, à mener une pause opérationnelle en stoppant la progression de ses unités. En France, le Service des Essences des Armées gère près de 1,3 millions de mètres cube de carburant par an, ce qui représente des sommes dépassant le milliard d’euros, à mettre en comparaison avec le 1,54 milliards d’euros consacrés aux infrastructures de la Défense en 2010 (bases, ports, casernes) ou les 700 millions d’euros prévus annuellement pour l’activité et le fonctionnement des seules unités de l’armée de Terre. Force est donc de constater que les dernières livraisons d’équipements au profit de l’armée française, comme le char Leclerc qui vient d’être revalorisé (230 litres pour 100 km soit plus qu’un AMX 30 B2 dans les années 1980), ou les équipements en cours de conception comme les FREMM[6], navires multi-rôles qui équiperont la marine nationale pour les missions de défense anti-aérienne, de lutte anti sous-marine ou d’action de l’Etat en mer, et dont les turbines à gaz sont très consommatrices en phase de combat, n’ont pas pris en compte, en amont, cet impératif d’adaptation énergétique. Certes, les études portant sur ces matériels datent parfois d’une époque où le prix du pétrole était négligeable, mais il peut être inquiétant de penser que leur durée de vie devrait les maintenir en service jusqu’à l’horizon 2030.
Les grands programmes qui sont au cœur des efforts d’équipement des années à venir reflètent d’ailleurs cette absence d’anticipation liées aux questions énergétiques, à l’instar des avions Rafale qui peuvent consommer jusqu’à 9,9 tonnes de kérosène pour une mission d’appui au sol ou du VBCI (véhicule blindé de combat de l’infanterie, transportant les fantassins en zone hostile) avec ses 170 litres pour 100 km de déplacement.
Par ailleurs, les pays de l’OTAN, déjà soucieux de respecter des règles environnementales sévères comme la norme « Euro III » pour les véhicules terrestres pourraient limiter l’utilisation de certains engins, notamment pour l’entraînement, dans des pays occidentaux où la lutte contre la pollution et la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont devenues un impératif sociétal. Ceci serait amplifié si les Etats-Unis, premier fabricant d’armes mondial, cherchaient, comme le laissent présager les travaux du Pentagone, à imposer de nouveaux standards de motorisation face à la pression des lobbys écologistes.
Dès lors, au regard de la lenteur dans les progrès concrets pour tenter de limiter l’utilisation du pétrole, la tentation serait grande pour de nombreux Etats, émergents ou sans grandes ressources financières, d’abandonner les unités mécanisées et le recours à l’aviation moderne, voire à certains moyens maritimes. Ils chercheraient dès lors à former des armées de masse, nécessitant une logistique a minima et capables d’occuper un large front pour saturer les défenses adverses en occupant les espaces lacunaires, le manque de troupes étant aujourd’hui compensé par la mobilité des moyens modernes. La prise en compte d’une telle rupture militaire pourrait répondre au souhait du ministre français de la Défense[7] qui, en janvier 2011, exhortait les forces armées à réfléchir à de nouvelles surprises stratégiques à venir. Ainsi, face à cette situation, les pays occidentaux, privés de leur outil de combat hérité de l’ère pétrole, seraient incapables de bâtir à nouveau et rapidement des unités à grands effectifs et seraient contraints de reconsidérer leurs choix stratégiques, renonçant à certaines ambitions ou concentrant leurs efforts sur une aire géographique voire sur des intérêts particuliers. Pour la France, on pourrait envisager l’abandon de bases prépositionnées dans la corne de l’Afrique ou le Golfe Persique et un resserrement des moyens militaires sur les marges méditerranéennes mais également une approche nouvelle de la protection des intérêts et des citoyens français à l’étranger[8]. En effet, la démographie occidentale déclinante ainsi que les mentalités propres aux « sociétés post-belliques »[9] inhibent de toute réaction nos pays développés face à ce phénomène de baisse capacitaire. Leurs stratégies prendraient donc davantage une orientation défensive face à la montée en puissance, dans des Etats classés aujourd’hui « en voie de développement », d’armées de masse plus rudimentaires certes, mais plus influentes dans leur voisinage régional et dissuasives, conventionnellement, vis-à-vis des puissances contemporaines..


Si le risque lié au coût ou à la fin du pétrole reste, à l’heure actuelle, encore une perspective de long terme, il apparaît impératif d’anticiper, dès maintenant, les défis énergétiques du XXIème siècle. Dans le cas contraire, les 30 années à venir pourraient être synonymes d’un renversement stratégique au détriment des pays occidentaux, à l’exception des Etats-Unis qui, conscients de leur dépendance et de ses conséquences, semblent avoir pris au sérieux le besoin de préparer ce tournant et ce, afin de disposer d’un outil militaire capable, entre autres, de protéger les approvisionnements énergétiques indispensables au maintien de l’ « american way of life »[10]. Cette rupture, qui fait suite aux transitions qui ont vu se succéder ou cohabiter le charbon, le pétrole et l’atome, ne doit pas être sous-estimée, en particulier, par la France qui entend demeurer un Etat influent dans les affaires du monde, soutenu par un outil de défense et de sécurité à la hauteur de son ambition. Il est en effet encore aujourd’hui difficile d’ignorer les paroles de Raymond Aron considérant « qu’il faut être aveugle pour ne pas voir que dans le monde d’aujourd’hui ceux qui jouent un rôle essentiel sont ceux qui possèdent la poudre noire et des canons. » Des efforts de recherche dans l’effacement de la dépendance pétrolière doivent donc être encouragés et soutenus par le ministère de la Défense avec, au besoin, une formalisation des enjeux dans un document officiel et prospectif susceptible d’appuyer les travaux des entreprises de la BITD[11] nationale ou européenne.

Source image: wikimedia commons Us Air Force, Lt S.Gozzo.


[1] Les panneaux photovoltaïques par exemple demeurent fragiles et facilement détectables ou neutralisables pour un adversaire même faiblement armé.
[2] Discours du ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie en 2006.
[3] Délégation Générale pour l’Armement.
[4] Systèmes de commandement, de communication et de contrôle permettant la numérisation de l’espace de bataille.
[5] Rapport de l’Observatoire des transferts d’armements – l’armement du futur, pression sur la recherche, présence des militaires dans le domaine des nanotechnologies – 2006.
[6] Frégates multi-rôle.
[7] Allocution de monsieur Alain JUPPE devant l’école de guerre le 20 janvier 2011.
[8] Mutualisation des moyens d’intervention ou d’évacuation de ressortissants avec des pays alliés, utilisation accrue de sociétés militaires privées.
[9]  Expression utilisée par François Géré, historien à l’IFAS pour qualifier le refus de la mort et de la conflictualité dans les sociétés occidentales contemporaines.
[10] Et notamment une consommation pétrolière civile forte dans les transports notamment.
[11]  Base industrielle et technologique de défense.


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