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mercredi 4 avril 2012

Désengagement d’un théâtre : petite étude historique comparative du retrait militaire.


Alors que l’on évoque, dans les médias et le débat politique du moment, le retrait plus ou moins rapide des forces de l’OTAN en Afghanistan, j’ai voulu savoir si les exemples historiques de désengagements militaires mettaient en lumière des constantes opérationnelles ou stratégiques dans la préparation ou encore, la conduite de la dernière phase d’une intervention.
J’ai restreint ma réflexion à des théâtres d’opérations où les forces conventionnelles ont dû faire face à des oppositions "asymétriques" ou "irrégulières" et ce, dans des conflits dont l’issue est demeuré source à polémique. J’ai donc cherché à identifier les traits caractéristiques du retrait américain au Vietnam, de celui de la France en Indochine, des Soviétiques d’Afghanistan et des Britanniques de Palestine.
En fait, nous verrons que si les stratégies de retrait de chacun de ces protagonistes étaient parfois différentes, le contexte a largement altéré leurs mises en œuvre mais il s’agira  également de démontrer que leurs résultats, à court et moyen terme, sont, bien souvent, assez proches les uns par rapport aux autres.
Pour cela, nous chercherons d’abord à identifier ce qui se cache derrière le terme de "retrait" ou de "désengagement d’un théâtre" avant de déterminer les similitudes entre les exemples cités puis les conséquences potentielles post-intervention pour les protagonistes.



Le désengagement : une phase des opérations source de commentaires.

Nombre de militaires et de chercheurs (anglo-saxons pour la plupart) se sont penchés sur les développements des retraits militaires des corps expéditionnaires dans ce que les Américains appellent les "unfinished conflicts", ces crises ou guerres dont l’issue reste incertaine et dont le niveau de violence endémique reste haut après le départ d’une force armée extérieure. Forts de nombreux exemples, tous s’accordent à dire que :
-le retrait est inévitable ;
-qu’un retrait anticipé se fait toujours au détriment de l’intérêt national ;
-que tout retrait doit apparaître légitime.
Ce retrait semble s’appuyer, et nous le verrons plus loin, sur la consolidation d’accords internationaux, sur des liens et des aides économiques soutenus ainsi que sur la formation des institutions et des forces de sécurité locales.

Pourtant, malgré l’intérêt porté aux problématiques du désengagement, ce temps des opérations n’est abordé dans la doctrine militaire que de façon superficielle, que ce soit à l’issue d’une phase de normalisation pour le document français FT01 "Conduire la bataille, gagner la paix" ou dans le manuel américain "US Army Operations Field Manual 3-0". Ce constat serait le fait, selon Stanley Weintraub ou Anthony Arnove ("Irak : la logique du retrait", 2006) de la recherche, par le politique, d’un "retrait stratégique nécessitant parfois une non victoire militaire". Pour ces auteurs, les gouvernements, engagés dans ces opérations lointaines, décident du moment et des modalités du retour de leurs soldats selon un calcul "coûts-avantages" en rupture avec les réalités militaires. Ceci pourrait donc expliquer ou éclairer les conclusions d’une étude réalisée, en 2010, par deux chercheurs du "Think Tank" Rand Corporation selon laquelle, sur 89 insurrections dans l’histoire ayant provoqué une intervention militaire, seules 26 ont vu les insurgés vaincus ou défaits.
Dès lors, il convient de se pencher sur les quatre exemples cités supra qui semblent mettre en exergue des points de convergence majeurs.


Des similitudes dans la préparation et la conduite du retrait.

-Rechercher un départ dans l’honneur :
Au Vietnam, entre 1973 et 1975, comme en Afghanistan entre 1987 et 1988, les militaires ainsi que les dirigeants politiques cherchent à partir dans l’honneur en prônant la mise en place d’un gouvernement vietnamien stable ou la réconciliation nationale à Kaboul. Pour les Britanniques en Palestine, l’outil principal de cet effort s’inscrit dans le développement d’une campagne stratégique d’information très élaborée comme le détaille dans un article le docteur Kate Utting du King’s College of London. Pour la France en Indochine, ce refus d’accepter le départ du théâtre d’Extrême Orient comme une défaite peut aller, selon la canadienne Naomi Black, par une "victoire par substitution". Cette dernière est définie en 1955 par les Français comme leur volonté de résister aux Américains en retirant des troupes perçues comme les outils de l’impérialisme des Etats-Unis.

-Une stratégie de retrait altérée par l’évolution du contexte local :
Les stratégies et modes d’action choisis par les corps expéditionnaires pour se désengager s’inscrivent dans le long terme et sont souvent mis à mal par l’évolution de la situation ou de la menace. Pour les Américains, malgré une victoire sur le Viêt-Cong qui laisse présager une sortie de crise positive en 1971, la montée en puissance et l’engagement massif de l’armée nord-vietnamienne contre le sud désorganise le passage de témoin avec Saigon. Pour les Soviétiques, le soutien américain en matériel au profit de la rébellion (missiles sol-air par exemple) diminue l’effet des grosses opérations prévues conjointement avec la jeune armée afghane comme l’opération Magistrale par exemple. En Grande Bretagne, on est surpris par l’action violente des groupes extrémistes hébreux comme "Stern" ou "Irgoun" qui décrédibilisent l’action de la force. Enfin, en 1955, au sud-Vietnam, alors que les militaires français lancent de grands travaux pour améliorer l’infrastructure au profit des forces de sécurité locales, le gouvernement de Saigon, qui s’est rapproché de Washington, exige le départ immédiat des dernières unités françaises.

-Des retraits souvent menés sans entrave :
Sur le plan tactique, les retraits se font généralement dans de bonnes conditions logistiques et sécuritaires. Mais le revers de la médaille se place dans la négociation préalable avec l’adversaire d’hier et un déploiement de protection conséquent. Ainsi, les Etats-Unis doivent négocier avec Hanoi et stopper leurs actions (pourtant efficaces) sur les bases arrière de l’insurrection au Cambodge. Moscou, de son côté, en 1988, finance des groupes d’auto-défense dans les villages pour sécuriser les axes et déploie de lourds moyens terrestres et aériens (jour et nuit) autour des convois et des plateformes logistiques où transitent les forces désengagées.

-Une planification impérative et minutieuse :
Pour tous les protagonistes, une planification raisonnée du désengagement est nécessaire. Qu’il s’agisse des Américains, qui renforcent les unités sud-vietnamiennes les plus faibles ou préservent les moyens d’appui feux (artillerie, chasseurs bombardiers) jusqu’en 1973, ou de la 40ème armée soviétique qui met en place trois phases (15 mai - 16 août 1988 50% des moyens / 3 mois de pause opérationnelle / 15 novembre 1988 - 15 février 1989 derniers éléments), les corps expéditionnaires ne partent jamais dans la précipitation.

-Des difficultés pour soutenir, dans la durée, à distance le gouvernement local :
Américains, comme Soviétiques ont essayé de former, d’entraîner et de "mentorer" des armées locales afin de leur confier les opérations post-désengagement. Moscou a ainsi équipé et monté en puissance une armée afghane de 300 000 hommes qui résistera jusqu’en 1991-92, date à partir de laquelle elle ne peut plus compter sur la logistique et les conseillers de l’URSS qui vient d’imploser. Dans le cadre de la stratégie dite de "vietnamisation", Washington, de son côté, équipera une armée sud-vietnamienne d’un million d’hommes aux compétences disparates mais qui ne résistera pas à l’absence d’appui aérien américain lors de l’offensive nord-vietnamienne de 1975. Nixon réduira également l’aide financière au président Thieu qui démissionnera accusant les Etats-Unis de trahison. Paris a vu l’échec du "jaunissement" des forces vietnamiennes (voir la publication du CDEF sur son site) à la fin de la guerre d’Indochine et Londres ne pourra soutenir que l’éphémère légion arabe jordanienne qui participera aux premiers conflits avec l’Etat israélien.

Des conséquences pour le théâtre considéré et pour les anciens protagonistes du corps expéditionnaire.

Pour chacun de ces protagonistes, les retraits militaires vont avoir de lourdes conséquences. Tout d’abord nationales avec des gouvernements mis en cause par l’opinion publique ou une partie de la population (comités de mères de soldats en URSS) mais aussi, de lourdes dépenses financières, considérées comme inutiles par des opposants politiques ou par le tissu économique de ces pays.
Sur le plan international, l’image de ces Etats a parfois pâti de leurs interventions à l’instar des Britanniques accusés d’avoir créé une situation géopolitique instable au Proche Orient. Enfin, sur le plan militaire, les armées engagées dans ce type de corps expéditionnaires ont souffert de problèmes internes (drogue, maladies infectieuses, réactions post-traumatiques, indiscipline), d’une grande difficulté à réorganiser leurs unités et à rebâtir la doctrine d’emploi face aux nouvelles menaces ou crises à venir.

Pour conclure, de ces quelques études des désengagements militaires dans l’histoire des interventions d’après la seconde guerre mondiale, il apparaît des constantes tant stratégiques, tactiques et même opératives qu’il convient de comprendre et même anticiper à l’heure où des forces quittent des théâtres en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique. Je citerai donc pour finir un officier supérieur américain du "Command Joint and Staff College" américain : "Strategic leaders should seek to understand and apply lessons provided by historic examples of successful and failed withdrawal operations".

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