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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

vendredi 17 août 2012

De la poliorcétique au combat en zone urbaine : évolutions et permanences tactiques (2/3).




Nous continuons notre voyage historique de la poliorcétique avant de retenir, dans une troisième et dernière partie à venir, les enseignements contemporains de cet ancêtre du combat en zone urbaine.


3-De la Renaissance à Vauban : progrès et innovations.


Le canon et ses projectiles de plus en plus puissants transforment la poliorcétique dès la Renaissance, imposant aux forteresses d’innover dans leur conception et leurs équipements (angles des remparts, épaisseur des murs). L’armée qui  assiège, elle aussi, se voit contrainte d’inventer de nouveaux modes d’action pour surprendre le défenseur et s’approcher des villes fortifiées. Ainsi, au XVIème  siècle, dans le but de contrer le feu, la mitraille et les boulets, les militaires font appel aux mathématiciens italiens et à la géométrie pour créer des bastions en étoiles (les remparts ne sont plus linéaires) dont les 5 côtés permettent un feu croisé contre l’assaillant et créent des trajectoires délicates pour les artilleurs adverses. De telles places fortes sont donc bâties sur ce modèle à Turin entre 1564 et 1568 ou encore à Anvers entre 1567 et 1569. D’ailleurs, en mai 1534, pour mettre fin aux pillages des hommes de Barberousse, Charles Quint s’empare facilement de la ville de Tunis et du fort de la Goulette (pourtant défendu par 600 canons) car les murailles de la cité n’ont que peu évoluées depuis le Moyen-Age.
Néanmoins, c’est bien encore la tactique et les choix du chef, son analyse de la situation ou sa faculté à saisir l’opportunité qui font la différence au cours des sièges. Ainsi, à Pavie en 1525, alors que les Français avaient repoussé une tentative de sortie de la garnison impériale grâce à leurs nombreuses pièces d’artillerie, le Roi de France décide de charger, sans l’appui de ses bombardes, les Lansquenets qui reculent vers l’abri de la ville avant de s’échouer dans les marécages qui bordent la Cité, de tomber sous le feu des arquebusiers adverses, pour être finalement capturé.






Mais il faudra attendre le siècle suivant pour voir émerger un penseur et un praticien innovant dans le domaine de la poliorcétique. Il s’agit, bien évidemment, de Vauban qui aménage 300 places fortes et en fait construire près de 33 autres. Son système en étoile, réfléchi selon trois modèles différents, est fait de lignes successives, d’angles obliques, de tours bastionnées, de couloirs abrités, de fossés en caponnière. Cette réflexion tactique, formalisée dans de nombreux écrits (« Traité de l’attaque des places ») est révolutionnaire et d’une formidable efficacité, à l’image des citadelles de Besançon, de Neuf-Brisach, ou de Lille qui ceinturent les frontières du Royaume et ne seront jamais (à l’époque) prises. Mais Vauban est également un remarquable assiégeant, aux côtés de Louis XIV comme à Maastricht en 1673 par exemple. En fait, l’ingénieur militaire apporte trois innovations majeures aux tactiques de siège. D’abord il réfléchit à une technique d'approche en faisant creuser trois tranchées parallèles très fortifiées, reliées entre elles par des boyaux de communications en ligne brisée pour éviter les tirs défensifs en enfilade. La première de ces tranchées, placée hors de portée de canon (600 m à l'époque)  doit prémunir l’attaquant d’une attaque à revers par une armée de secours. La seconde, à portée de tir, permet d'aligner l'artillerie dont les tirs convergent vers un point faible des fortifications. La troisième, à proximité immédiate des remparts, doit faciliter le creusement d'une mine ou l'assaut d’infanterie si l'artillerie a permis d'ouvrir une brèche dans la muraille. Le retranchement doit être suffisant pour interdire une sortie des défenseurs. Autre nouveauté, l'éperon des forteresses bastionnées créant une zone où l'artillerie de l'assiégé ne peut tirer à bout portant, Vauban a l’idée de créer des levées de terre devant la tranchée immédiatement au contact des fortifications assiégées (très basses pour éviter les tirs d'artillerie). Ces monticules qu'il nomme «cavaliers de tranchées », permettent aux assaillants de dominer les positions de tir des assiégés, de les refouler à la grenade puis de s'emparer du chemin couvert. Enfin, en 1688, il invente le « tir à ricochet » et ce, en employant de petites charges de poudre pour qu’un boulet ait plusieurs impacts sur une ligne de défense au sommet d'un rempart, neutralisant ainsi fantassins, canons et servants à la fois.








4-Le XIXème siècle, quand la ville devient champ de bataille ou centre logistique.


Au début de cette époque, la poliorcétique semble marquer le pas. Même si les armées font encore le siège des grandes cités -tel le jeune Bonaparte défendant Toulon ou plus tard, Napoléon devant St Jean d’Acre, Mantoue-, les citadelles deviennent plutôt des plots logistiques, des entrepôts de ravitaillement, des bases de départ ou des zones de retraite pour soutenir les longues campagnes des armées européennes. Bien défendues, car elles assurent la permanence des lignes d’opération et de communication, elles font particulièrement l’objet de traités sur leur protection, par exemple celui rédigé par Lazare Carnot en 1811 « De la défense des places fortes ». D’ailleurs, quand elles ne sont pas bien garnies, la défaite n’est pas loin, l’exemple de la retraite de Russie de 1812  demeurant suffisamment évocateur. Mais déjà, la cité, derrière son rempart, devient le lieu même de la bataille comme en feront l’expérience les soldats français en Espagne à partir de 1808, en Egypte (lors des émeutes du Caire), ou le général de Bourmont qui prend Alger en 1830 (grâce à ses sapeurs et à son artillerie) mais encore, Napoléon III à Sébastopol. Sans oublier les révolutions de 1830 et de 1848 qui verront Paris truffée de barricades pour enfin terminer sur l’épisode tragique de la « Commune » en 1871. En effet, alors que l’armée de Versailles pénètre dans la capitale, elle doit reprendre chaque rue et chaque maison aux parisiens révoltés, avant de fusiller les derniers « communards » dans le cimetière du Père Lachaise. Certes, les soldats ont été aidés par les grandes avenues rectilignes percées par Haussmann quelques années plus tôt, mais beaucoup de quartiers étaient encore structurés autour de ruelles étroites et sombres. Dès lors, les pertes seront effroyables des deux côtés et la bataille épuisante, consommatrice en ressources, en canons et en munitions, tant pour l’assaillant que pour le défenseur. La poliorcétique vit alors une grande mutation qui n’aura de cesse de s’accélérer dans les décennies à venir.


A suivre…


Frédéric JORDAN

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