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lundi 10 septembre 2012

« Agents de transmissions par excellence dans les situations difficiles » : la colombophilie militaire dans l’histoire.

 
Le 24 juillet 2012, monsieur Decool, député à l’Assemblée nationale, posait une question parlementaire quelque peu originale en interpellant le ministère de la défense sur l’état de son potentiel colombophile et ce, à l’heure où la Chine semblait annoncer la formation de plusieurs centaines de milliers de pigeons voyageurs pour palier une interruption possible des moyens de communication militaires. Interpellé par ce sujet, j’ai ainsi voulu revenir sur l’histoire des pigeons pour comprendre leur rôle dans l’évolution des moyens de transmissions mais aussi, afin de mieux appréhender ce que pourrait être l’usage militaire contemporain de ces oiseaux messagers.
Nous verrons donc, dans les lignes qui suivent que les pigeons voyageurs sont liés depuis longtemps à la guerre mais que l’âge d’or de la colombophilie se situe au XXème siècle. Dès lors, un emploi de ce vecteur aérien animal sur les théâtres d’opération actuels paraît délicat voire anachronique.



 
1-Une histoire ancienne.

L’Antiquité rapporte déjà l’utilisation des pigeons pour transmettre les messages entre les souverains et leurs généraux, comme le relatent des tablettes sumériennes vieilles de 5 000 ans ou encore, le récit des combats du roi Salomon. Les Romains eux-mêmes utilisent les volatiles et, en particulier, dans les villes assiégées pour envoyer des messages à une potentielle armée de secours. C’est le cas de Decimus Brutus, encerclé dans Modène par Marc Antoine en 43 avant JC, mais également, celui des marins phéniciens qui parcourent la Méditerranée. Plus tard, à l’époque des Croisades au Vème siècle, afin d’avoir toujours un temps d’avance sur les chevaliers européens, les Arabes et les Turcs développent un remarquable réseau de communication grâce aux pigeons entre les cités de Damas, de Bagdad, Mossoul, Alep, Le Caire et Gaza. Charlemagne avait pourtant instauré l’usage des colombiers dans les places fortes de son Empire, faisant des pigeons un privilège pour la noblesse militaire de son temps.
 
2-Un développement et un âge d’or.
 
Les colombophiles vont alors développer leurs activités au cours des siècles qui suivent car il est rapidement établi que cette race de pigeons voyageurs dispose d’une vision jusqu’à 70 km, d’une vitesse de pointe qui peut atteindre 120 km/h et d’une endurance proche des 1 000 à 1 500 km entre le point de lâcher et le pigeonnier (et uniquement celui-là) où l’oiseau a vu le jour. Dès lors, le rôle militaire des volatiles prend un nouvel essor pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le gouvernement français ne pouvant compter que sur les dépêches (3000 par messagers ailés grâce à l’invention du microfilm) transmises par les pigeons entre Tours et Paris. De la même façon, alors que les voies de chemin de fer sont coupées, des ballons amènent plusieurs centaines de pigeons à Paris pour permettre la liaison entre la capitale et la citadelle de Lille. Forte de cette expérience, la France décide, en 1877, de créer les premiers colombiers militaires alors même que le télégraphe se développe mais demeure vulnérable à l’action ennemie.
Le premier conflit mondial donnera raison à cette initiative car la guerre de position, la puissance des feux d’artillerie et la nécessité de transmettre des messages sur des champs de bataille meurtriers imposent le recours aux pigeons voyageurs, cordons ombilicaux entre les premières lignes et les postes de commandement. Si en 1915 on ne compte que 3 pigeonniers mobiles (montés sur camion ou remorques sous l’impulsion de Léon Beague), ces derniers sont  au nombre de 16 en 1916 et et de 350 en 1918. On crée également des centres d’instruction colombophiles à Montoire ou à Coëtquidan pour former des militaires à ce moyen de transmissions efficace qui paiera un lourd tribut avec près de 20 000 oiseaux français tués au combat (gaz, armes à feu, explosions, captures,…). En zone occupée (nord de la France), les troupes allemandes craignent l’utilisation de ces animaux sur leurs arrières pour renseigner les armées françaises et vont jusqu’à interdire leur détention aux civils des régions concernées. Ils inaugurent également un usage plus complexe des pigeons en les équipant d’appareils photos programmables afin de prendre, en toute discrétion des clichés des lignes ennemies.
 
Pourtant, l’acte fondateur de la légende colombophile militaire reste l’envoi, par le commandant Raynal, d’un pigeon, depuis le fort de Vaux (près de Verdun), le 6 juin 1916, pour annoncer une offensive allemande brutale.  Le pigeon nommé « Le Vaillant » (matricule 787.15) suscitera d’ailleurs, presque un siècle plus tard, l’imagination des réalisateurs de dessins animés américains. Après-guerre, un hommage sera rendu à ces « agents de transmissions par excellence dans les situations difficiles » en édifiant des monuments comme celui de Victor Voets à Bruxelles ou la statue érigée près de la citadelle lilloise.
 
3- Le déclin et l’usage contemporain.

 
 
 
Malgré le développement des transmissions, les colombiers seront encore utilisés pendant le second conflit mondial, par les armées régulières au début de la guerre puis par la Résistance française. En effet, 16 500 pigeons seront employés entre la France et la Grande Bretagne pour transmettre informations et ordres. C’est ainsi que Londres fut prévenu, le 17 mai 1943, par un message porté par le pigeon « Le Maquisard », que 6 sous-marins allemands se trouvaient en rade de Bordeaux sans protection. Un bombardement de 34 avions Liberator fut alors lancé neutralisant 4 des submersibles.
On trouve ensuite encore traces des militaires colombophiles pendant la guerre de Corée, en Indochine (pour communiquer entre des postes souvent éloignés) et en Algérie. Cependant, les pigeons furent progressivement remplacés par les systèmes électromagnétiques.
 
Aujourd’hui, en France il ne reste plus que 280 pigeons militaires regroupés dans le colombier du Mont Valérien et entraînés par deux sous-officiers du 8ème régiment de transmissions. La marine des Etats-Unis, quant à elle, semble en dresser pour la surveillance maritime car leur vue permet de retrouver des naufragés à longue distance. Néanmoins, ces animaux et leur remarquable faculté d’orientation sont très sensibles aux conditions météorologiques, aux odeurs, évoluent différemment selon l’heure de la journée et doivent surtout être motivés pour rejoindre le colombier (séparation entre le mâle et la femelle par exemple). Le pigeon ne reconnaît qu’un seul point d’attache et rencontre des difficultés sur des distances supérieures à 1000 km. Aussi, à l’heure où les opérations ne touchent plus uniquement le territoire national, il serait fastidieux d’élever des oiseaux capables d’intervenir depuis tous les théâtres du globe sans distinction de terrains, de milieux ou de spécificités géographiques (en Indochine déjà, les pigeons venus de France ont dû faire l’objet d’une longue sélection car bon nombre d’entre eux ne supportaient pas la chaleur et l’humidité). La colombophilie n’est donc probablement pas la solution pour préserver les armées modernes de la guerre des moyens de communication.

 
 
 
 
Pour conclure, l’histoire militaire de la colombophilie remonte à l’Antiquité et a traversé de nombreux conflits. Les pigeons voyageurs se sont révélés des atouts précieux pour permettre l’échange d’informations au profit du chef tactique comme stratégique. Mais les capacités de ces oiseaux d’exception, si elles ont montré une grande efficacité pendant la Grande guerre, ont progressivement dû s’effacer devant les progrès techniques puis les transformations de la conflictualité.
 
Frédéric JORDAN

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