Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

dimanche 28 avril 2013

Comment la logistique influence-t-elle la tactique ? (fin)

Nous en terminons donc aujourd'hui avec les principes logistiques appuyés sur les enseignements de l'histoire-bataille.
 
Anticipation de la logistique.
 
Comme en tactique, voire en stratégie, il est important d'anticiper, de prévoir, de considérer les cas non-conformes, de planifier certes, mais avec le souci de ménager des marges de manœuvre, des solutions alternatives et les moyens de saisir les opportunités.
 
Le logisticien doit ainsi faire preuve d'anticipation, en préparant les ressources, en réfléchissant aux besoins, comme aux vecteurs, pour les transporter et les porter vers le cœur de l'action envisagée. Il ne peut pas stocker ou exiger, sans contraintes, de la part des services pourvoyeurs l'ensemble de ce qui serait possible d'avoir car il y a toujours une limite, qu'elle soit financière, technique ou tout simplement humaine.

Dès lors, le responsable de la logistique conceptualise un soutien adapté au terrain, à l'ennemi, au rythme prévisible du combat, à l'organisation et au mode d'action choisis par le chef militaire. Hier, comme aujourd'hui, le respect de ce principe contribue au succès ou  à l'échec d'une force engagée.
C'est le cas des troupes américaines qui, en 2004, pour préparer le siège puis la conquête de la ville irakienne de Falloudjah, vont  accumuler 11,5 millions de projectiles divers et près de 11 jours de stock (carburant, vivres,...) les semaines qui précédent l'assaut et ce, afin de disposer du flux nécessaire à l'engagement d'un peu plus de 3 brigades sur un rythme soutenu en zone urbaine.
Bien plus tôt, il suffit d'évoquer "la guerre du rail" que se livrent les belligérants pendant la guerre de sécession aux Etats-Unis entre 1861 et 1865. Le commandement de l'Union comprend rapidement l'intérêt d'organiser et de protéger son réseau ferroviaire, en créant l' "US military rail road" qui disposera de 35 000  km de voies pour transporter et ravitailler plus d'un million d'hommes sous les armes. A l'inverse, les Confédérés doivent se contenter de l'administration anarchique de quelques 15 000 km de chemins de fer qui seront, de plus, prises pour cibles par les raids nordistes qui les détruisent, à l'image des "cravates de Sherman" (chauffer à blanc les rails pour les rendre inutilisables) dont l'effet sera dévastateur.
 
L'allègement de l'avant.
 
Pour permettre aux unités de mêlée comme d'appui de suivre le tempo imposé par le plan et leur donner la liberté d'action nécessaire aux exigences du champ de bataille, la logistique doit être la plus proche possible de la ligne des contacts. Pour ce faire, il faut développer un soutien intégré aux forces, avec des équipes spécialisées mais surtout des vecteurs adaptés pour les équipements, le carburant ou encore le transport. Napoléon avait déjà mis à disposition de son artillerie le train des équipages, que nous avons déjà abordé, pour permettre l'entretien d'un potentiel de feu quelque soit la manœuvre. Plus tard, nombre de corps expéditionnaires seront confrontés à la nécessité de compter sur une grande faculté d'adaptation comme l'utilisation des charriots lourds (campagne française du Mexique en 1863 pour franchir la Sierra), de mulets (dans les colonies d'Afrique du Nord), de canonnières en Asie et de dromadaires dans le désert soudanais (Camel Corps britanniques).
Plus récemment, en 1940, des prisonniers français seront ébahis en croisant, en arrière du front ardennais, des ateliers de maintenance allemands en pleine activité dans la forêt, de jour comme de nuit. D'ailleurs, sur le front de l'est, Berlin met au point un soutien de l'avant permettant l'auto-génération des divisions blindées. Ces dernières voient les chars endommagés (mais réparables) extraits du champ de bataille par des engins spécialisés permettant, par exemple, à Koursk, en 1943,  de réengager 60% des chars touchés.
Enfin, il est important d'évoquer le transport tactique par porte-engins blindés qui décuple les élongations possibles pour les unités mécanisés et ceci dans le but de surprendre un adversaire et d'économiser le potentiel des équipages. Dans ce cadre, la réactivité israélienne en 1973, pendant la guerre du Kippour, lui permettra, avec ce type de moyens, de basculer son effort du nord au sud d'Israël afin de vaincre successivement les Syriens sur le Golan puis les Egyptiens dans le Sinaï.
 
L'unicité  et la centralisation de la ressource d'entretien.
 
Pour que le système logistique fonctionne, des lieux de regroupement de la ressource jusqu'au soutien de l'avant, il est impératif de mettre en place un commandement unique ainsi que des structures centralisées. Un seul correspondant ou un état-major clairement identifié peuvent alors participer à la planification des opérations avec la perception du logisticien. Celui-ci peut alors préparer et coordonner les besoins et être source de proposition. Le système le plus abouti semble bien être celui des Soviétiques au cours du second conflit mondial. En effet, Staline fit regrouper ses usines dès le début des combats derrière le massif de l'Oural afin de les préserver d'une attaque aérienne mais aussi de bénéficier des nœuds routiers, fluviaux et ferroviaires que constitue cette région. De la même façon, dans une vision opérative affirmée, l'URSS bascule son centre de gravité logistique, ainsi que les moyens nécessaires, en fonction des manœuvres préparées, à l'instar du regroupement blindé et humain mis en place en arrière de Stalingrad (opération Uranus) en 1942 ou de Tcherkassy-Korsun en 1943.
 
Pour conclure sur cette série d'articles concernant la logistique, il apparaît indéniable que les principes propres au soutien ne peuvent pas être décorélés de ceux de la tactique, tant ils permettent au chef militaire de sauvegarder sa liberté d'action, de concentrer ses efforts ou de favoriser l'économie de ses moyens. L'œil du logisticien doit ainsi être pris en compte dès la planification des opérations, non pas comme une contrainte, mais dans un esprit de complémentarité pour trouver les modes d'action adaptables à l'ennemi, au terrain, aux moyens et aux ressources. Quiconque se désintéresse de la logistique risque fort d'en payer le prix face aux frictions de la guerre ou à l'organisation plus fine d'un adversaire, dans le temps et dans l'espace.
 
Frédéric Jordan
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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