Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 4 mai 2013

Syrie, une terre de combat ancienne.



Voici un article que j'ai fait paraître la semaine dernière sur le blog de "L'Alliance géostratégique" à laquelle j'appartiens.
 
Si l’actualité fait souvent référence à la Syrie et aux combats qui s’y déroulent entre diverses factions ou forces en présence, l’histoire permet, une fois encore, de remettre en perspective ce conflit dans une région qui a, de tous temps, été un enjeu militaire pour diverses armées. Même si cette zone stratégique historique est bien plus large géographiquement que les frontières actuelles de l’Etat syrien, force est de constater qu’elle possède, néanmoins, des caractéristiques pérennes. Celles-ci façonnent, de facto, les modes d’action, l’emploi, le type, voire l’organisation des unités qui s’y sont battues ou pourraient y être engagées.
Aussi, nous verrons que, malgré l’évolution des armements et de l’art de la guerre, c’est bien le milieu spécifique à la Syrie, avec son climat, son relief, ses fleuves et ses agglomérations,  qui a influencé la tactique des différents belligérants qui ce sont succédés sur ce terrain.
 
L’Antiquité ancienne (XIIème siècle avant JC) voit déjà s’affronter les armées égyptiennes et hittites lors de la bataille de Qadesh dont l’enjeu est bien de conquérir les voies de communication (les forteresses surplombant la rivière Oronte par exemples) permettant l’acheminement des troupes et, en particulier, des chars à roues qui forment l’ossature des forces du moment. Le désert ou les zones arides syriennes permettent clairement la mise en œuvre efficace de cet équipement particulier, en rase campagne, ainsi que des déploiements compacts facilitant l’effet de choc sur l’adversaire.
 
 

Alexandre le Grand va devoir lui aussi s’ouvrir les portes de l’empire perse avant son long périple vers l’est et ce, en conquérant cette région syrienne, entre autres par la saisie rapide des cités (nécessité logistique) et des accès à la mer. Ces points sont d’ailleurs, encore aujourd’hui, convoités par la rébellion syrienne ou les combattants de Bachar al Assad.
Plus tard, la Syrie est conquise par les légions de Pompée entre 64 et 63 avant JC. Ce stratège va progressivement commencer la fortification de villes comme Heliopollis (Balbek) puis établir une ligne de fortins, d’abord sur l’Oronte, et plus en avant, en direction des oasis du désert méridional (températures extrêmes, tempêtes de sable). Il a compris l’avantage que représente la chaîne de montagnes dite du Djebel Ansaryya qui se présente comme une muraille naturelle, aux vallées encaissées, capable de protéger et de préserver les ressources agricoles de la façade méditerranéenne (céréales et fruits). Hanté par la défaite de Carrhes face aux Parthes en 53 avant JC, Marc Aurèle déplace, après étude de la géographie locale, le « Limes » en direction de l’Euphrate. Cette ligne concrète doit constituer une base de départ pour les attaques menées contre l’empire orientale voisin, à l’image de l’expédition difficile du général Lucius Verus entre 161 et 166 après JC. Les cités syriennes (Gerasa, Palmyre) sont également perçues, par les forces en présence de cette période comme des points d’appui ainsi que des nœuds de communication qu’il faut, tantôt défendre, ou tantôt assiéger puis investir.
Pour s’adapter aux menaces venues de l’est (invasions barbares) et à un terrain nécessitant une grande mobilité (favorisant le harcèlement), Rome installe alors ses 2 légions permanentes (III Gallica et IV Scythia) à Samosate et Zeugma pendant qu’un large contrôle de zone est assuré par des unités auxiliaires comme l’Alae Gallorum ou la cohorte Thracum. Ces dernières sont constituées d’archers et de cavaliers (equitatae) venus de contrées lointaines ainsi que de Sagi Harii, troupes d’élite formées par des Syriens de souche connaissant parfaitement le terrain.
Comme aujourd’hui, des rebellions éclatent dans certaines cités ou du fait de minorités se sentant plus ou moins spoliées, à l’instar de Palmyre dont le souverain Odeynath  (puis sa veuve) tient tête, pendant plusieurs années, aux généraux romains tout au long du IIIème siècle. En 636, les Arabes battent la Syrie Byzantine à Yarmouk en attirant leurs adversaires pendant 5 jours vers la rivière du même nom (frontière actuelle avec la Jordanie). Les lourds cataphractaires et fantassins de Byzance perdent mobilité et orientation suite à un brouillard ou une tempête de sable, conditions météorologiques locales bien connues qui permettent aux forces musulmanes de contre-attaquer et ce, malgré une large infériorité numérique.
 
Quand arrive le Moyen Age, la Syrie devient terre de confrontations entre les Croisés et les chefs musulmans. L’un d’entre eux, Saladin, va ainsi être victorieux lors de la bataille de Hattin en 1187, tirant à lui les avantages des chaleurs et du manque d’eau dont souffrent les chevaliers occidentaux dans un désert exigeant mais adapté à ses propres cavaliers nomades. Si les royaumes chrétiens contrôlent certaines cités ou forteresses, ils sont rapidement isolés de leurs bases et de leurs approvisionnements, comme de leurs renforts, par l’action de leurs ennemis arabes et turcs sur les routes, les campagnes et les voies navigables.
En 1258 les Mongols cherchent à prendre Damas sans succès mais, en 1408, Tamerlan s’empare de la ville avant que le sultan ottoman Selim ne batte, en 1516, les Mamelouks à Alep. A chaque fois, comme actuellement, sur ce territoire si particulier, ce sont les agglomérations qui sont prises pour cibles car elles représentent les lieux de décision et les centres économiques ainsi que les portes vers les horizons orientaux.
 
En ce qui concerne le XXème siècle, au cours du premier conflit mondial, les Européens s’allient aux troupes arabes d’Hussein et de Fayçal grâce à l’action du britannique Lawrence d’Arabie. Ce dernier a compris que, pour vaincre les Turcs (qui occupent la Syrie et les pays alentours), il est essentiel de mettre en œuvre une guérilla appliquée sur les centres de gravité géographiques syriens. Il s’agit bien évidemment des routes pour l’approvisionnement, des voies de chemins de fer (régulièrement coupées), de la dispersion des troupes d’Ankara dans des postes multiples (oasis) et de la capitale, Damas, qui tombe en 1918.
 
Déçus par les choix politiques de l’après-guerre, Fayçal tente de s’opposer au protectorat français et décide de conquérir les montagnes de l’Anti-Liban afin de rayonner sur la Syrie utile et ses débouchés vers le sud ou l’ouest. Cependant, il sera battu par le général Gouraud le 24 juillet 1920 à Khan Mayssaloum.
 
Il faudra ensuite attendre ces dernières années pour voir renaître l’intérêt militaire pour la Syrie. Dès lors, il apparaît que la guerre civile actuelle se développe sur des objectifs  identiques à ceux du passé dans un environnement difficile (météo et relief) qui provoque de fortes contraintes sur les opérations : le littoral riche, les cités qui sont des nœuds de communication, les oasis des zones arides, les fleuves et rivières qui constituent, avec la montagne, des obstacles naturels.  Les unités doivent  ainsi être mobiles, frapper l’ennemi puis se retirer rapidement alors que des effectifs, même limités, entretiennent l’insécurité ou permettent de tenir des zones habitées importantes.
L’histoire militaire apporte donc, une fois de plus, des clés de réflexion dans le cadre d’une planification opérationnelle en Syrie et ceci, quel que soit le type d’armée, ses moyens ou ses ambitions tactiques, opératives ou politico-militaires.
 
Source image : Hérodote .net, templiers.net

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