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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

samedi 22 juin 2013

Enseignements stratégiques et tactiques : la vision du général Marshall (2).

 

Nous pousuivons notre étude du rapport établi par le général Marshall à l'issue de la seconde guerre mondiale, document cherchant à tirer les enseignements les plus divers sur la planification de opérations mais surtout sur l'organisation des armées.
 
 
L'équilibre des effectifs et leur préparation au combat :
 
 
Après de nombreuses fluctuations, Washington décida de limiter les effectifs militaires à 7 700 000 hommes, "nombre jugé nécessaire pour l'ensemble des besoins stratégiques". L'objectif était de ne pas affaiblir la main d'oeuvre nationale, essentielle pour maintenir la supériorité et l'atout que représentait la puissance industrielle américaine. De plus, les élongations et les lignes de communication étendues nécessitaient une marine marchande et militaire considérable et ce, afin de transporter les unités, les ravitailler et fournir équipements et munitions aux autres alliés.
Pour le général Marshall, il s'agissait de "concilier la spécialisation industrielle et les demandes des divers commandants de théâtres d'opérations. Résoudre les contradictions qu'engendrait fatalement une telle situation n'est pas un mince problème pour une démocratie en guerre."

Le choix réalisé fut ainsi de consentir aux services (intendance, administration, santé,...) 1 751 000 hommes (+ 423 000 militaires affectés et répartis dans les différents postes de commandement des théâtres d'opérations) puis  2 340 000 soldats aux forces aériennes chargées d'affaiblir et d'user le potentiel ennemi avant l'engagement des 3 186 000 combattants terrestres. On observe donc la volonté de planifier, avec un grand souci du détail, les besoins de chaque volet stratégique. Ceux-ci ont alors été pensés avec une vision claire des différentes étapes à conduire (préparer  et soutenir les armées, commander et planifier, offensive aérienne, attaque au sol) et ce, afin d'atteindre l'effet final recherché.
Néanmoins, la grande inconnue demeurait la capacité adverse de résister sur le plan terrestre. Cette incertitude  a contraint les Américains à atteindre très vite le seuil maximum d'équipement et d'entraînement de leur armée de terre avec 71 divisions (59 d'infanterie, 10 blindées, 2 de cavalerie). Fin 1943, il fallut même dissoudre une division de cavalerie pour honorer les besoins dans les services comme au bénéfice des "moyens amphibies" (débarquement à préparer). De leur côté, les forces ennemies semblaient, de prime abord, davantage pourvue avec 313 divisions allemandes et 120 divisions japonaises. Pourtant, cette lecture est apparue rapidement en trompe l'oeil puisque l'Allemagne, comme le Japon, étaient incapbales de combler leurs pertes (certaines divisions ne comptaient que 5000 soldats) alors que les Etas-Unis bénéficiaient d'une régénération continue en hommes comme en armements. Ce constat au bénéfice de Washington mérite néanmoins, selon le général Marshall, d'être lui aussi relativisé. En effet, l'armée américaine connaîtra une crise des effectifs à la fin 1944, du fait des combats sur le Rhin, des distances d'approvisionnement  (jusqu'à 14 000 km), de la lenteur des transports transatlantiques ou des difficultés de liaison entre les zones arrières (Angleterre) avec le front (est de la France). De même, le commandement allié, en Europe comme dans le Pacifique, observa une usure accélérée des hommes sollicités depuis 1942 (Afrique du Nord, Sicile, Aléoutiennes,...) et épuisés par les conditions d'engagement (climat tropicale, maladies, raids aériens nocturnes,...). Il fut donc décider d'intensifier les relèves (retour au pays pour les aviateurs après 25 à 50 missions en fonction de la zone de combat, 3 équipages affectés par aéronefs pour permettre les temps de repos), de consacrer 1 an à l'entraînement d'une division blindée et 17 semaines à la formation individuelle (6 semaines d'instruction physique suivies de 11 semaines de perfectionnement au combat ou à l'emploi des armes). Dans ce cadre, Marshall souligne qu"au fur et à mesure que les officiers et les hommes acquéraient au combat une expérience suffisante, ils étaient renvoyés aux Etats-Unis pour y servir comme instructeurs dans les centres d'entraînement. Les jeunes apprenaient ainsi les moyens à employer pour survivre à la bataille ; ils devenaient ainsi plus aptes à combattre et augmentaient leurs chances lors du premier contact avec l'ennemi."
Cette formation se voulait également la plus réaliste possible, quitte à prendre des risques et à connaître des pertes avant même l'engagement réel : "l'entraînement des renforts était donc fait de la manière la plus réaliste possible. Les combats de rue, les combats de jungle, le combat rapproché étaient étudiés d'une manière pratique, avec tirs réels, les hommes apprenant à ramper sous les trajectoires des mitrailleuses, à lancer des grenades et à traverser des barrages d'artillerie, dans les mêmes conditions qu'au combat." Ces observations nous offrent, de fait, un remarquable contre-argument à ceux qui considèrent encore aujourd'hui qu'une armée réduite peut, dans des délais très brefs, remonter en puissance. Ceci s'oppose aussi  aux partisans de la simulation à outrance au détriment de centres d'aguerrisment et d'entraînement dotés de moyens organiques.
On compléta ce dispositif en créant, dans les unités, des équipes "jeunes -anciens" pour favoriser la transmission de l'expérience (action soutenue par la mise sur pieds de centres de ré-entraînement à proximité du front à destination des troupes au repos). On favorisa également le flux entre soldats des Services et ceux issus des armes combattantes (emploi à l'arrière de blessés physiquement ou psychologiquement). C'est le général Ben Lear qui fut chargé de  récupérer des hommes physiquement aptes dans les services pour les remplacer par des soldats  rendus inaptes au combat (143 000 cas dans l'armée de terre). Pour palier le manque d'effectifs, il fut également necessaire de développer un corps féminin important de près de 100 000 "Wacs" dont 6 000 officiers (en particulier dans les unités médicales). En effet, la volonté du Congrés américain de ne pas engager, pour des raisons morales (vis à vis de l'opinion publique américaine), des hommes de moins de 19 ans, eut de facheuses conséquences sur le recrutement alors que Marshall affirme, comme le font aujourd'hui les armées modernes (confrontées à des choix en termes de réduction ou de repyramidage de ses personnels) que "les excellentes divisions de Marines sont constituées principalement par des hommes de 18, 19  et 20 ans. Ils ont une vigueur et une capacité de résistance beaucoup plus grande que celle des hommes plus âgés et souvent cette supériorité physique est un facteur déterminant dans le dénouement de combats opiniâtres et prolongés."
Enfin, dans un contexte de guerre conventionnelle de haute intensité, le général Marshall fait état de son inquiétude, malgré la victoire des Alliés, et conclut son chapitre sur ces mots : "Même avec les 2/3 de l'armée allemande engagés contre la Russie, il a fallu tous les hommes que la Nation trouvait aptes à être mobilisés pour accomplir notre tâche en Europe et en même temps maintenir sous notre contrôle les Japonais dans le Pacifique. Nous ne pouvons qu'imaginer ce qui serait advenu si l'armée Rouge avait été défaite et les Illes britanniques envahies. Rien que cette hypothèse demeure terrifiante."
Il est donc à souhaiter que les "vieilles puissances occidentales", souvent démographiquement ou économiquement affaiblies, ne doivent pas, en ce début de XXIème siècle, mobiliser leur potentiel humain dans un conflit aussi important que la deuxième guerre mondiale. 

A suivre...

 
 
 
 
 


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