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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

mercredi 21 août 2013

Lecture et enseignements : "Tsahal, nouvelle histoire de l'armée israélienne" de Pierre Razoux.

 
A l'heure où le Proche-Orient connaît de nombreux soubresauts, il m'est apparu intéressant de revenir sur l'ouvrage très complet de Pierre Razoux sur l'armée israélienne qui vient d'être réédité récemment après une première parution en 2006. Cette force militaire, quoique jeune dans sa formation, a connu de nombreuses étapes dignes d'intérêt, de la création aux combats asymétriques en passant par des conflits conventionnels de haute intensité. J'ai également publié cet article sur le blog de "L'Alliance géostratégique" à laquelle j'appartiens depuis plusieurs mois.
 
Au regard de la richesse de l’ouvrage, j'ai choisi de ne pas évoquer, dans cette fiche de lecture, les aspects géopolitiques israéliens, l’évolution des alliances entre Tel Aviv et la communauté internationale ainsi que les nombreux évènements touchant aux officiers généraux très influents dans la vie politique du pays. L’accent sera également mis sur les forces terrestres et la coopération interarmées, en écartant de l’analyse la marine, l’armée de l’air et les nombreux services de renseignement stratégiques.


 
1/ L’AUTEUR
Pierre Razoux est un historien français spécialisé dans les conflits contemporains et les relations internationales. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence sur ce sujet.
Il est notamment l'auteur de livres sur les conflits israélo-arabes, sur Tsahal, la guerre des Malouines et la Géorgie.
Pierre Razoux est docteur en histoire. Il a soutenu sa thèse sur la Guerre du Kippour. Il a occupé des postes en échange au Ministère de la   Défense britannique et est devenu responsable des relations franco-britanniques à la   DAS, au ministère français de la Défense. Il est devenu, en 2007, chercheur au Collège de l'OTAN à Rome avec pour aire de responsabilité le Moyen Orient.
 
2/ SYNTHESE DE L’OUVRAGE
 
Première partie : La reconnaissance
 
Chapitre 1 : Aux origines.
L’auteur considère qu’on ne peut comprendre l’histoire de l’armée israélienne contemporaine, et par là même l’état d’esprit de ses combattants, sans remonter aux sources du judaïsme. Dès lors, sont évoqués les groupements tactiques de Joab au premier siècle avant JC, l’épopée des Maccabées et leurs actions de guérilla contre les romains ou tout simplement la défense héroïque de Bar Kochba entre 131 et 135 après JC.
 
Chapitre 2 : Un demi-siècle de clandestinité.
A partir de la fin du 18ème siècle, les nouveaux immigrants constituent des milices plus ou moins fiables, comme l’Hashomer, pour défendre les jeunes colonies agricoles. Avec la première guerre mondiale et la Légion juive intégrée dans l’armée britannique, les vétérans se forment au combat conventionnel, avant de basculer, dès 1920, dans l’organisation clandestine Haganah. Celle-ci, pour palier l’inaction britannique, s’opposera avec efficacité aux émeutes arabes entre 1921 et 1929. Néanmoins, les plus radicaux fondent des groupes terroristes violents comme l’Irgoun. En 1939, Ben Gourion crée une force militaire d’élite pour lutter contre les allemands. C’est le Palmah, spécialisé dans la lutte commando, et, en 1944, la brigade juive indépendante qui combattra sur le front italien. Après la guerre, ces forces retrouveront la clandestinité pour lutter contre les Britanniques et constituer le noyau dure des forces armées israéliennes.
 
Chapitre 3 : La guerre d’indépendance.
Les 45 000 hommes et femmes de la Haganah appuyés par les 3000 combattants du Palmah élaborent un corpus de manuels militaires sous la houlette d’un ancien colonel de l’armée américaine, David Marcus. Très vite, pour gagner la bataille des routes lancée par les fédayins palestiniens, les Israéliens mettent sur pieds des unités d’automitrailleuses qui assurent la liberté d’action sur les axes. Avec les déclarations de guerre des pays arabes, ils mettent en place une ligne de défense dont les kibboutz sont les points d’appui. Après avoir fixé leurs adversaires, ils mènent de redoutables contre-attaques, suivies de manœuvres d’enveloppement. Le 28 mai 1948 Tsahal est crée pour permettre l’unicité du commandement. Même si l’emploi de l’infanterie est privilégié, à l’image du modèle britannique, la première unité blindée est créée et participera au succès de ce premier conflit.
 
Chapitre 4 : A la recherche d’une stratégie. / Chapitre 5 : La preuve par le feu.
A compter de 1949, Tsahal est constituée d’un noyau dur professionnel, d’une force de conscrits (encadrée par de nombreuses préparations militaires et entraînements paramilitaires) et d’une vaste réserve. Elle cherche à se doter de principes d’emploi et d’un matériel moderne et mobile. Contrairement à des poncifs répandus, la discipline formelle y est très stricte, même si les cheveux longs ou les barbes sont tolérés pour des raisons religieuses. Les promotions sont rapides et la jeunesse mise en avant (les généraux sont nommés à 36 ans). La stratégie choisie est résolument offensive et se décline, sur le plan opérationnel, par la recherche de la surprise,  de la mobilité des troupes, des raids et du choc. De nombreuses unités spéciales sont créées comme l’unité 101 face aux fédayins puis les premières unités parachutistes et blindées. Ces dernières montreront leurs atouts dans la campagne du Sinai en 1956 lors des batailles d’Abou Ageila et du col de Mitla où les troupes égyptiennes subiront le rythme imposé par Tsahal.
 
Deuxième partie : Le triomphe.
 
Chapitre 6 : Une décennie de modernisation.
Afin de conserver son avance militaire sur ses voisins, Tsahal lance une grande rénovation de son équipement pour que celui-ci soit le mieux adapté possible à sa doctrine. Si l’effort porte essentiellement sur l’armée de l’air et la marine, les formations blindées constituent indubitablement le fer de lance de l’armée de terre qui magnifie la « guerre éclair » et augmente ses effectifs pour atteindre 125 000 hommes (soit 4 divisions blindées et une parachutiste).
 
Chapitre 7 : Une victoire éclatante.
Le 6 juin 1967, Tsahal lance l’opération préventive « Moked » sur les forces arabes. Après avoir conquis la supériorité aérienne, deux divisions blindées bousculent les défenses égyptiennes alors que la bande de Gaza est conquise en quelques jours. La bataille d’Abou Agueila illustre la qualité de la manœuvre israélienne. De la même façon, la prise de Jérusalem laisse présager des combats en zones urbaines modernes. L’offensive sur la Golan est, quant à elle, un modèle de combat interarmes et aéromobile. En six jours, la coalition arabe est à genou et son potentiel militaire affaibli considérablement.
 
Chapitre 8 : Changement de stratégie.
Forte de ces succès qui l’aveuglent et confrontée à l’évolution de la société israélienne, Tsahal s’oriente vers une nouvelle stratégie plus défensive. Celle-ci prend forme avec la création de la ligne Bar-Lev le long du canal de Suez. Parallèlement, les forces terrestres connaissent leurs premiers échecs face à un ennemi palestinien devenu asymétrique, comme lors de la bataille de Karameh. Dans le même temps, l’Egypte prépare sa revanche en modernisant son armée et en leurrant les services et les capteurs du renseignement israélien.
 
Chapitre 9 : Le choc du Kippour.
La surprise de cette attaque sur deux fronts, les innovations techniques (canons à eau pour réduire les défenses de la ligne Bar Lev) handicapent Tsahal qui peine à retrouver l’initiative. Les réactions israéliennes sont désordonnées et inefficaces à l’image des réserves blindées engagées sans appui artillerie et sans infanterie. De plus, le rideau sol-air égyptien empêche l’armée de l’air d’appuyer les troupes au sol. Les batailles, comme celle de la vallée des Larmes, sont meurtrières et, seules les hésitations syriennes sur le Golan apportent un répit à Tsahal pour se réorganiser. L’engagement de la réserve blindée permet de contre attaquer et de repousser avec difficulté l’ennemi. La victoire d’Israël ne cache pas un bilan mitigé et de lourds enseignements. La doctrine de la « guerre éclair »apparaît comme un anachronisme alors que les C4I prennent de l’importance et que le manque d’effectifs immédiatement disponibles se fait sentir.
 
Chapitre 10 : Changement de dimension
Tsahal fait un effort conséquent sur la formation des unités des forces spéciales (raid sur Entebbe), modifie ses modes d’action et fait un effort conséquent dans l’innovation industrielle en se dotant, par exemple du char, Merkava et d’hélicoptères de combat Cobra.
 
Troisième partie : L’enlisement.
 
Chapitre 11 : L’illusion de la victoire / Chapitre 12 : Le bourbier libanais.
En 1978, face aux menaces que fait peser la résistance palestinienne au nord du pays, Tsahal lance l’opération « Litani » au Liban qui se solde par quelques succès tactiques mais un échec politique. Les forces terrestres israéliennes soutiennent la création de l’ALS, une milice supplétive pour contrôler la région frontalière. Néanmoins, Tsahal cède à l’engrenage initié par le terrorisme et la guérilla en menant, en 1982, l’opération « Paix en Galilée » au pays du Cèdre. Après une phase conventionnelle qui bouscule les brigades palestiniennes à Beyrouth et l’armée syrienne dans la Bekaa, Tsahal s’enlise au Liban. Cet échec est illustré par la polémique des massacres de Sabra et Chatila ainsi que par le rapport Kahane qui souligne l’inefficacité des troupes israéliennes sur le terrain.
 
Chapitre 13 : La guerre des pierres.
Commencée dès 1987, elle met en évidence les faiblesses de l’armée régulière qui doit être renforcée par le corps des gardes-frontières. Ceux-ci se transforment peu à peu en unités des forces spéciales pour faire face à l’Intifada.
 
Chapitre 14 : Vers une nouvelle stratégie.
Malgré la débauche d’armes ultramodernes de Tsahal, les responsables militaires peinent à définir une stratégie adaptée à la fois, à l’enlisement de l’Intifada et également à l’évolution rapide du contexte international (effondrement du bloc soviétique). Les théoriciens développent alors un nouveau concept baptisé Israël Security Revolution qui s’inspire de la RMA avec un effort sur l’échange d’information et la numérisation.
 
Chapitre 15 : L’Intifada Al-Aqsa.
Le 28 septembre 2000, éclate la nouvelle Intifada. A l’inverse de ce qui s’était passé lors de la guerre des pierres, ce conflit se militarise rapidement avec des combats de rue, une guerre des routes, des offensives conventionnelles sans résultats concrets, comme « Rempart » en 2002 en Cisjordanie. Cette impuissance conduit Israël à construire un mur de sécurité et à évacuer en 2003 la bande de Gaza.
 
Chapitre 16 : La guerre contre le Hezbollah.
Le 12 juillet 2006, le Hezbollah déclenche une pluie de roquettes sur la Galilée et capture deux soldats israéliens. Tsahal lance alors une opération conventionnelle face aux 5000 combattants très bien équipés chiites de Nasrallah. Sous-estimant son ennemi et mettant l’accent sur l’appui aérien plutôt que sur le contrôle terrestre, Tsahal s’enlise peu à peu (bataille du village de Ben Jbeil) et subit de lourdes pertes, y compris au sein de ses unités mécanisées (60 blindés et 4 hélicoptères neutralisés). Le 30 avril 2007, la commission Winograd publie un rapport au vitriol sur les fautes du commandement et les carences des forces israéliennes lors de cette campagne.
 
Chapitre 17 : La question nucléaire.
L’auteur développe le processus politique et militaire de nucléarisation d’Israël depuis 1957 qui fut une des origines de la guerre des six jours. A l’heure de la menace iranienne, avérée ou non, la dissuasion israélienne semble retrouver une nouvelle légitimité et perdure avec la construction de sous-marins lanceurs d’engins.
 
3/ Enseignements tactico-opératifs
 
A/ Le rôle de la culture dans la tactique.
Pierre RAZOUX soutient que, toutes proportions gardées, certains choix des stratèges israéliens ne sont que la simple répétition d’épisodes militaires cités dans la   Bible. En témoignent les noms des opérations militaires qui font référence à des faits d’armes historiques tant par le nom que par la tactique employée, à l’image de l’opération « Machabée » en 1948 pour libérer les vieilles colonies d’Etzion.
En outre, l’intérêt du renseignement est un héritage ancien puisqu’il existait du temps de Moise, créateur du premier réseau d’espions militaires sur les rives du Jourdain. La féminisation des forces armées est liée aux épisodes antiques où des unités féminines défendaient les rois hébreux, à l’instar de Déborah qui permit la conquête du pays de Canaan. De la même façon, les doctrines et la perception d’obsidionalité de Tsahal sont influencées et marquées par les sacrifices des combattants hébreux de Massada.
 
B/ Les forces morales.
Elles jouent un grand rôle dans la résilience et la réactivité de l’armée israélienne. En effet, lors des premiers accrochages de la guerre d’Indépendance, les troupes encerclées dans des poches de résistance, comme à Beersheba, ont fixées les troupes arabes. De même, lors de la guerre du Kippour, les délais gagnés par une poignée de combattants ont permis de faire face. Ainsi, sur la ligne Bar Lev, certains postes ont résisté à Masrek et de jeunes officiers ont mené des contre-attaques avec des moyens dérisoires comme le capitaine Tzvika et ses 4 chars sur le Golan.
 
C/ La diversion et la déception : deux principes essentiels.
Ces deux procédés sont maîtrisés par Tsahal qui sèment la confusion chez l’adversaire. Ainsi, à Abu Agueila en 1967, le général Sharon simule une attaque frontale sur les lignes égyptiennes, alors qu’il déborde par le nord. Quelques temps plutôt, les Israéliens mènent le transport de nombreux faux chalands de débarquement par camions entre la Méditerranée et la Mer Rouge.
 
D/ Le rôle des chefs.
Des hommes comme Moshé Dayan s’imposent très vite comme de redoutables tacticiens de la contre-insurrection jusqu’en 1936. Ils y acquièrent une réputation chez les adversaires potentiels, le respect de leurs hommes et une faculté d’adaptation remarquable. Dès 1948, ils sont à l’origine des évolutions et de la montée en puissance de Tsahal. Innovants dans le domaine des forces spéciales comme Ehoud Barak, redoutables stratèges comme Sharon, doctrinaires de génie comme Pérès, ils favorisent la victoire. Grâce à un avancement jeune (généraux à 35 ans), ils passent par toutes les responsabilités et font régulièrement des allers et retours entre corps de troupe et états-majors. Capables d’une désobéissance réfléchie, ils prennent des initiatives et saisissent les opportunités pour atteindre les objectifs de l’esprit de la mission. Ce fut le cas en 1973, quand Sharon décida seul, devant le repli égyptien, de franchir le canal de Suez au niveau du déversoir. Néanmoins, nombreux échecs peuvent être imputés aux généraux israéliens enfermés dans leurs certitudes ou inhibés par les choix politiques comme Mendler pendant la guerre du Kippour ou Dan Haloutz face au Hezbollah.
 
E/ L’importance du matériel et des capacités spécifiques.
Pour soutenir les évolutions doctrinales, Tsahal n’hésite pas à investir dans des matériels taillés sur mesure. Ce sont d’ailleurs d’anciens officiers d’active qui créent l’agence de l’armement. Ainsi, le char de bataille Merkava, mais aussi les drones, soutiennent les modes d’action privilégiés des forces armées. De la même façon, l’emploi de l’artillerie et de l’appui aérien est très rapidement mis en œuvre dans les batailles. Enfin, les unités spécialisées comme les parachutistes, les gardes frontières ou les forces spéciales sont un outil privilégié pour constituer des réserves et surprendre l’adversaire.
 
Frédéric JORDAN

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