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dimanche 15 septembre 2013

Pourquoi les aviateurs français n'ont-ils pas su s'imposer en mai 1940 ?

Comme je souhaitais l'évoquer, cet article va aborder la problématique de l'aviation française en 1940 et son échec face aux opérations interarmées allemandes. En effet, dans de nombreux témoignages et ouvrages, il est fait état d'une absence remarquée des avions français dans le ciel de la bataille qui se joue de Breda à Sedan et ce, tant dans le domaine du renseignement que de celui de la supériorité aérienne ou du bombardement. Pourtant, les aviateurs revendiqueront plusieurs centaines de victoires (quelles que soient les sources et la polémique qui persiste sur ces chiffres) mais perdront 40% de leurs officiers et 20% des sous-officiers. Nous verrons donc, qu'au-delà du courage et de l'engagement des pilotes, personnels navigants et troupes au sol en 1940, l'armée de l'air française a payé son impréparation technique et doctrinale face à une Luftwaffe mieux organisée et aguerrie.


En 1940, l'armée de l'air française est jeune puisqu'elle a été créée en 1933-34 avec la prise de son indépendance vis-à-vis des forces terrestres qui la contrôlaient depuis le premier conflit mondial. En 1936, 2 corps aériens permanents sont donc mis en place, l'un pour la chasse et l'autre pour le bombardement. Les aviateurs sont rapidement tentés par la doctrine "douhetiste" favorisant le bombardement stratégique et une certaine forme de dissuasion conventionnelle qui sied parfaitement à la stratégie défensive de la France de l'entre-deux-guerres. Certains penseurs comme Camille Rougeron, que nous évoquions il y a quelques mois sur ce blog (http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2013/03/camille-rougeron-la-reflexion-meconnue.html), sont d'ailleurs les défenseurs de cette doctrine. Mais en 1938, les aviateurs finissent par mettre en œuvre le développement d'une chasse puissante, sensée protéger l'espace aérien de toute menace venue de l'extérieure. Malheureusement, l'emploi des chasseurs est limité à de petits groupes d'avions en patrouille, en opposition avec les grandes formations de plusieurs dizaines d'appareils employées par les Allemands.
Le commandant en chef de l'armée de l'air, le général Vuillemin est, pour sa part, fortement réticent à l'appui air-sol direct des forces terrestres, privilégiant des bombardiers attaquant les arrières immédiats de l'ennemi. Enfin, en 1939, une décision majeure vient fragiliser la jeune arme aérienne car on décide, sous la pression de chefs de l'armée de terre (Pétain en particulier), de redonner une partie des aéronefs aux forces terrestres. Il s'agit alors de développer deux éléments distincts : les forces aériennes réservées aux ordres de l'aviation (chasseurs, reconnaissance et bombardements stratégiques) et les forces aériennes organiques à la main des commandements d'armée (observation, renseignement tactique, chasse, bombardiers d'assaut). Pour coordonner ces deux structures, Paris doit créer, en février 1940, un échelon intermédiaire appelé commandement des forces aériennes de coopération aux ordres du général Têtu placé auprès du général Georges (commandant les forces françaises du Nord-est). Cette structure alourdit encore un peu plus une chaîne décisionnelle bicéphale.
En termes d'équipements, quand la guerre éclate, la France cherche à renouveler et à étoffer ses aéronefs en achetant des avions américains (Curtiss) ou en fabriquant de nouvelles unités comme le LeO 45 pour remplacer les vieux Amiot 143 ainsi que les Breguet. Mais si 3000 engins sont produits en 1939, 60% du parc est indisponible en 1940 par manque de pièces détachées (hélices, radio,...) et du fait des limites techniques de l'unique atelier français de remise en état. Quant au personnel naviguant, il est insuffisant pour armer tous les avions ou palier les pertes qui seront importantes dès les premières semaines de combat. Dans un autre registre, les bombardiers tactiques ont un autre handicap : ils pratiquent le bombardement rasant  (et non pas en piqué) à basse altitude, se rendant, de fait, très vulnérables face à une DCA bien organisée.
Aussi, quand les Allemands pénètrent en Belgique et foncent vers la Meuse en mai 1940, l'aviation française de la ZOAN (zone d'opération aérienne du nord) du général d'Astier de la Vigerie ne peut compter que sur 277 chasseurs "réservés", 45 avions légers de reconnaissance par armée (1ère, 2ème et 7ème) et 67 bombardiers d'assaut. Cet effectif est à mettre en balance avec les 1500 avions (600 bombardiers, 250 Stukas, 500 chasseurs légers et 120 chasseurs lourds) de la 3ème LuftFlotte allemande qui attaqueront le seul secteur de Sedan le 13 mai 1940.
Dans ces conditions, il est difficile aux pilotes français de percer le rideau adverse pour collecter du renseignement opératif. Il faudra d'ailleurs attendre le 12 mai matin pour que l'armée de l'air puisse écrire :" Effort ennemi dans la région des Ardennes, colonnes comportent des équipages de ponts. D'importantes forces motorisées et blindées en marche vers la Meuse. On peut donc conclure à un effort important ennemi en direction de la Meuse." Il est alors déjà trop tard car le corps de Guderian, par exemple, positionne ses chars à quelques kilomètres de la coupure. De la même façon, quand il s'agira de bombarder les ponts ou sites de franchissement près de Maastricht le 12 mai, les pertes seront terribles du fait de l'action de la chasse allemande ou des dispositifs anti-aériens. Le 14 mai, quand le général Escudier reçoit la mission d'engager ses groupes de bombardement sur Sedan, il laisse transparaître son inquiétude à ses subordonnés en expliquant : "cette opération va renouveler dans les airs l'ultime charge de la division Marguerite en 1870" (en référence à l'attaque inutile des cavaliers d'Afrique pour tenter de percer l'encerclement prussien). L'histoire lui donnera raison puisqu'au cours de cette journée, les Français et les Britanniques, venus en renfort, perdront, sans aucun résultat sur les divisions de panzers, 167 appareils.
L'armée de l'air n'aura pas su s'opposer à son adversaire et appuyer la manœuvre terrestre, elle-même mal planifiée et conduite dans un grand désordre.
Pour conclure, si individuellement les pilotes français ont montré de grandes qualités, un bel esprit de sacrifice et beaucoup de courage (en témoigne les 30 avions allemands abattus le 12 mai par les chasseurs de la 2ème armée), leur action n'a pas été décisive du fait de choix techniques, doctrinaux et stratégiques inadaptés à la nouvelle guerre menée par Berlin. Celle-ci associe la fulgurance du corps mécanisé à une force aérienne intégrée et pleinement tournée vers l'appui des troupes au sol ou la conquête de la supériorité aérienne.
Cet épisode nous rappelle parfaitement la nécessité d'anticiper les menaces et de se doter d'un outil militaire moderne comme suffisamment conséquent mais également bénéficiant d'un "système de C2 (command and control) efficace.
Frédéric Jordan
Image : blog Aérostories, collection J.Mutin.

1 commentaire:

  1. Je suis la petite-fille du Général ESCUDIER que vous citez dans votre article. Il commandait alors la base aérienne de Francazal à Toulouse. Je peux vous assurer que le jour de la déclaration de guerre, il a dit à ses proches que la flotte aérienne française n'était ni prête ni de bonne qualité technique, et que la guerre allait être perdue.

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