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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

jeudi 27 février 2014

Fiche de lecture : la biographie de Joukov (2/2).


Nous poursuivons notre étude des enseignements consacrés à la biographie du maréchal Joukov, en particulier aujourd'hui sur la période de l'immédiat avant-guerre.
 
Néanmoins, même s’il subit cette période avec angoisse dans une atmosphère pesante de délation, Joukov profite des purges qui ont pour effet de créer un formidable ascenseur professionnel puisqu’il est nommé en juillet 1937 commandant du 3ème corps de cavalerie puis commandant adjoint de district en Biélorussie. En responsabilité et devant l’augmentation exponentielle des effectifs de l’Armée Rouge (qui passe de 900 000 hommes en 1934 à 3 millions en 1939), il ne peut que déplorer le manque d’encadrement et sa faible qualité, deux facteurs qui conduiront aux hécatombes de 1941.
Mais le destin va sourire à notre général russe puisque le 1er juin 1939, il est convoqué de toute urgence à Moscou. Il y apprend qu’il doit se rendre en Mongolie pour, dans un premier temps, estimer, les raisons de l’incapacité des troupes soviétiques présentes (57ème corps spécial) à faire face à une profonde incursion japonaise dans la région de Nomonhan (Khalkin Gol). Cette mission va devenir un tournant dans son existence.


Fort de ce qu’il observe et rend compte au Kremlin, il est finalement nommé commandant du 57ème corps spécial et commence à préparer une riposte. Il met l’accent sur la recherche du renseignement (photos aériennes, interrogatoires de prisonniers. De la même façon, il ne sous-estime pas son adversaire, le général Komatsubara et cherche à observer au plus près le terrain et le dispositif ennemi directement sur la ligne des contacts. Il met en place une réserve opérative (à l’inverse des Allemands et des Japonais qui se contentent d’une réserve tactique) sur deux échelons et qui peut représenter 25 à 40% des moyens disponibles. Elle est sensée intervenir au moment où l’ennemi a dépassé son point culminant et qu’il perd, de fait, sa capacité à réagir, à garder l’initiative. En août, il défait les Japonais dans une belle manœuvre d’enveloppement  après avoir percer derrière un feu puissant d’artillerie précis commandé par Voronov (50% des pertes japonaises). Voir l’étude de la bataille sur votre blog : http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/p/la-bataille-de-khalkhin-gol-1939.html
Joukov valide, au cours de cette confrontation, le concept d’art opératif mais aussi de recherche de surprise comme une utilisation des blindés dans la profondeur sur des objectifs qui vont au-delà des limites spatio-temporelles de la tactique. Il considère, contrairement à certains de ses contemporains, que « gagner la guerre n’est pas une affaire de détermination politique, mais que c’est une question de compétence technique, de capacités de planification, d’accord entre moyens, vision opérative et but stratégique. »
Face à cette première confrontation et malgré le succès, le maréchal Timochenko lance un grand train de réformes Kalkhin Gol a mis en lumière de graves insuffisances techniques et tactiques. Joukov est alors partie prenante dans la planification du plan MP41 pour faire face à une attaque allemande avec 300 divisions, 33 corps mécanisés et 333 régiments d’aviation. Malheureusement, ni lui, ni le haut commandement, ne perçoivent ce qu’Isserson prophétisait : « A l’avenir, il n’y aura plus de déclaration de guerre, plus de phases distinctes suivant le schéma de 1914, mobilisation, concentration, déploiement. L’attaque sera soudaine, massive, avec tous les moyens réunis de façon à maximiser l’effet de choc. Comme l’agresseur ne pourra pas dissimuler complétement ses préparatifs, il lui faudra maintenir l’équivoque sur ses intentions : s’agit-t-il d’une pression, d’un bluff, d’un chantage ou de vrais préparatifs d’attaque, l’adversaire sera paralysé par le doute. »
C’est une des raisons des succès de l’opération Barbarossa lancée par les Allemands à l’été 1941 car Staline hésite, ne prend pas de décision et laisse son armée prendre de plein fouet l’onde de choc provoquée par la Wehrmacht. L’armée Rouge s’effondre dans des encerclements géants et une retraite désorganisée car, en plus de la surprise, sa doctrine ne repose que sur l’offensive. Joukov a néanmoins les faveurs de l’état-major général et de Staline suite à sa victoire en Asie. Il est donc désigné avec ses talents d’organisateur (aménagement du terrain, mise en œuvre des réserves) et son énergie pour sauver Leningrad puis Moscou. Il n’hésite pas à punir sévèrement ceux qui reculent trop facilement mais il sélectionne également es chefs qui font preuve d’initiative. Autour de la capitale il met en en place des moyens de déception ou Maskirovka (chars en bois) et un dispositif en profondeur qui va affaiblir les Allemands. Il a compris que ses ennemis étaient épuisés, au bout de leur effort logistique et privés de l’atout majeur que constituait jusqu’à présent la vitesse. Les panzers sont bloqués puis subissent une contre-attaque dévastatrice. La force de Joukov, tout au long de la guerre va ensuite résider dans sa capacité à apprendre de ses échecs (opération Mars) pour bâtir un plan de campagne à la hauteur de ses ambitions opératives, manœuvrant ses Fronts pour garantir sa liberté d’action, pour percer, pour encercler l’adversaire (opération Uranus à Stalingrad), l’arrêter dans une défense redoutable (Koursk), contre-attaquer ou le disloquer sur des centaines de kilomètres (opération Bagration). Il pourra compter sur un outil militaire de plus en plus efficace et aguerri ainsi que d’une force de frappe mécanisée très mobile qui est appuyée par une aviation qui a la maîtrise du ciel.
Il sera le héros de la victoire en 1945, Staline le laissant vivre son triomphe sur la place rouge, mais devra traverser de lourdes polémiques du fait de son implication dans la déstalinisation et des rancœurs de certains de ses camarades. Il demeure malgré tout un des meilleurs chefs militaires de la seconde guerre mondiale par sa faculté d’adaptation et sa vision opérative capable de tenir en échec un des outils tactiques les plus aiguisés du XXème siècle.

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