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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

vendredi 7 février 2014

Histoire et fondements de l'art opératif russo-soviétique. (2/2)

 
Nous achevons aujourd'hui notre étude sur la pensée opérative bâtie par les officiers tsaristes puis soviétiques à l'aune du XXème siècle. Nous avons vu qu'avant le premier conflit mondial, l'effervescence intellectuelle russe est importante dans le domaine militaire mais qu'elle est freinée par l'héritage napoléonien ou, du moins, par son interprétation restrictive. Néanmoins l'expérience des combats de 1914 à 1917 (et même l'analyse de ceux du front de l'ouest en 1918) finit par convaincre certains généraux comme Chapochnikov (futur chef d'état-major) qu'il est nécessaire de faire la synthèse entre la grande tactique napoléonienne et la stratégie dite des théâtre d'opérations de Leyer et ce, avec l'idée de la mise en œuvre d'un plan de guerre ou de campagne. Svetchin, dont nous avons déjà parlé, écrit, dans ce cadre, un ouvrage pour démontrer que l'opératique est bien le pont nécessaire entre la tactique et la stratégie, que les succès tactiques sont, in fine, liés entre eux par l'intention du chef (l'effet majeur) et le plan général.

Il prend ainsi la tête de la commission sur le retour d'expérience d'après-guerre afin de mettre sa théorie à l'épreuve des faits historiques.
D'ailleurs, l'histoire militaire est largement réhabilitée dans la formation des élites, à l'image de l'étude de la guerre contre la Turquie (1877-78) et de celle de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Cette dernière est emblématique de l'art opératif car elle se déroule sur des espaces extrêmement étirés et ne peut se lire qu'en liant les batailles principales que furent Liao-Yang, Sha-Ho et Moukden, toutes malgré tout des opérations à part entière (commandement, logistique, terrain, objectifs différents). C'est Iznetsev qui étudie d'ailleurs le mieux cette période et en déduit une théorie scientifique de planification faite de calculs mathématiques très détaillés qu'il est nécessaire de mener avant d'élaborer les ordres (calcul des flux de transport, des rapports de forces, des délais de mouvement,...). Mais la guerre civile provoque finalement la prise au sérieux de cette pensée opérative car ces combats fratricides en Russie ont mis en exergue l'aspect essentiel des lignes de communication, le besoin de contrôler le "pays utile" pour poursuivre l'effort de guerre (les "Blancs" ne contrôlent qu'une périphérie désertique), le mouvement des troupes (1000 km pour se battre), le retour en grâce de la cavalerie très mobile et l'efficacité des attaques sur les arrières d'un adversaire (pour détruire ses approvisionnements, ses réserves), à l'instar du raid du général Mamontov en août 1919 dans le dispositif de Denikine.
Finalement, en 1920, Verkhovsky devient chef du département tactique de l'académie militaire de la RKKA (armée rouge des travailleurs et des paysans) et fait naître officiellement l'art opératif en alliant les réalistes (s'adapter aux conflits du moments), les conservateurs (garder les principes anciens qui ont fait leurs preuves) et les futuristes (faire une révolution militaire en parallèle de celle qui s'est initiée en politique en 1917). Pour cela, il s'entoure de vétérans comme Svetchin, Frunze et Toukhachevsky mais aussi de "jeunes turcs" comme Triandafillov. Une chaire sur la conduite des opérations est même donnée à Varfolomev en 1924 afin de développer les notions de combat dans la profondeur, d'armées de choc pour percer, de recherche de la surprise (Maskirovka), d'un soutien adapté aux élongations et d'une manœuvre rapide comme élastique (dans le temps et l'espace). Le premier plan quinquennal et l'effort de mécanisation de l'armée rouge se lient à cette nouvelle doctrine avec, en particulier, le développement du char, celui de la puissance de feu de l'artillerie mais aussi le besoin en renseignement (développement de l'aviation). Malheureusement, les purges de Staline de 1936 à 1938 vont éliminer bon nombre de ces officiers brillants et expérimentés, laissant les forces armées dans un état de faiblesse morale et surtout privées de leur encadrement pour pratiquer un entraînement adapté. Quelques uns passeront entre les mailles du filet, comme Joukov, et permettront à l'URSS de remporter ses premiers succès militaires sur le modèle opératif face aux armée japonaises dans les confins du pays, à Kalkhin Gol sur la frontière entre la Mongolie et  la Mandchourie http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/p/la-bataille-de-khalkhin-gol-1939.html . Malheureusement, en Finlande puis face aux troupes allemandes, il faudra du temps et une remise à niveau des troupes soviétiques pour renouer avec la victoire, spécialement après les lourdes défaites de 1941. L'art opératif prendra ensuite progressivement sa pleine efficacité pour mettre à défaut la stratégie allemande étriquée dans sa vision purement tactique de la guerre et un commandement hypercentralisé. http://lechoduchampdebataille.blogspot.fr/2011/10/conduire-la-guerre-vision-tactique.html
Aujourd'hui encore, l'art opératif, au regard des espaces d'engagement des armées modernes (zones sahéliennes, insularité, Caucase,...) paraît être la doctrine la plus adaptée pour vaincre des adversaires souvent asymétriques, liés aux grands centres de peuplement et capables de se déplacer au delà des contraintes frontalières. Mais cela exige une organisation du C2, du renseignement, de l'intégration interarmes ou interarmées et de la logistique qu'il s'agit de bien anticiper.
 
Frédéric JORDAN
 

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