Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

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vendredi 6 février 2015

De l'autre côté du miroir : Iwo Jima, dans la tête des soldats japonais.

 
Régulièrement sur votre blog, nous vous proposons le témoignage d'un belligérants d'un fait d'armes ou d'un conflit en abordant un point de vue original. Pour cet article, ce sont les combattants japonais, présents lors de la plus violente bataille du Pacifique de la seconde guerre mondiale, qui vont nous livrer leur quotidien et leurs impressions au combat. Nous allons pour cela relire ensemble le livre de Kumiko Kakehashi qui relate les lettres d'Iwo Jima de ces soldats nippons. Mises en image en 2007 par le célèbre film du même nom, ces correspondances apportent un regard très intéressant, émouvant, réaliste et précis des évènements avec, en particulier, un focus sur le général japonais Kuribayashi. Ce dernier, mal connu, y compris dans son propre pays est un chef atypique au sein de son armée mais demeure un tacticien hors pair et un homme remarquable de valeur et d'humanité.


L'historienne japonaise qui a initié cette étude et qui a mené cette enquête a pu lire des lettres très rares et rencontrer les derniers témoins de cette tragédie guerrière. A chaque rencontre ou à chaque lecture, elle met en évidence la personnalité des hommes et des femmes plongés dans la guerre. On passe ainsi d'enseignements stratégiques perçus avec finesse au quotidien du combattant en passant par leur intimité familiale la plus personnelle.
On y voit ainsi un général Kuribayashi très proche de sa famille, de ses enfants et soucieux de leur bien-être de sa famille dans la vie de tous les jours, y compris à des milliers de kilomètres. Cet intérêt pour le foyer montre la bonté de l'homme mais aussi une envie de s'évader d'une île désertique qui ne mesure que 22 km2. Il n'en reste pas moins un brillant tacticien et "une fois en poste, sa première initiative est d'explorer l'île de fond en comble pour s'imprégner de sa topographie et du milieu naturel". Il s'intéresse notamment au Mont Suribachi, le point le plus haut (300 m) mais aussi,pour ces soldats à la pénurie d'eau. En effet, seule l'eau de pluie apporte de quoi boire à ces soldats. Ces derniers seront bientôt près de 20 000 suite à la volonté fugace de Tokyo de faire d'Iwo Jima une place forte. Malheureusement, cet effort militaire sera rapidement suspendu, l'état-major japonais étant persuadé, après Saipan, que les destin du camp retranché est compromis. Mais Kurybayashi qui a accepté avec désintéressement cette mission impossible ne s'avoue pas vaincu. Il estime que le temps qu'il gagnera à protéger les trois aérodromes de l'île seront autant de jours de répit pour les civils japonais, les bombardiers américains B29 ne pouvant utiliser comme base de départ ce que l'on qualifie alors de "sous-marin insubmersible". De plus, il connaît bien les Américains pour y avoir suivi une formation et il sait que l'opinion publique sera très sensible aux pertes si ces dernières sont importantes. Sa stratégie tient alors au travers de quelques principes qu'il édicte pour son armée mal équipée et composée d'unités éparses de l'arme de terre et de la marine:
-Nous protègerons l'île jusqu'au bout, de toutes nos forces.
-Chargés d'explosifs, nous nous lancerons sur les chars ennemis et les anéantirons.
-Avec nos sabres, nous nous jetterons dans les rangs ennemis et les exterminerons.
-Nous tirerons sans hésitation et nous abattrons l'ennemi du premier coup.
-Nous ne mourrons pas avant d'avoir tué 10 ennemis.
-Nous poursuivrons la guérilla, jusqu'au dernier d'entre nous et nous harcèlerons l'ennemi.

Contrairement aux principes japonais de l'époque, afin de gagner du temps, il renonce aux assauts dits "Banzai", sortes de sacrifice collectif face au feu ennemi. Au contraire, il privilégie l'action "asymétrique" pour user son adversaire et freiner son action. L'objectif n'est pas de gagner mais de ne pas perdre. Pour cela, il doit s'opposer à la doctrine officielle et les marins qui prônent la défense des plages mais pas de dispositif dans la profondeur. Kuribayashi refuse et se débat pour ne pas consommer ses faibles forces dans un combat où la puissance de feu américaine aurait le dessus. Il obtient finalement de limiter les postes de combat côtiers au minimum (dispositif de diversion) et décide de mettre en place deux lignes de défense appuyées par la forteresse naturelle constituée par le Mont Suribachi. Il limogera les officiers qui ne seront pas d'accord avec sa vision tactique.


Son pari est payant car les soldats américains, mais aussi la population, au moment du débarquement en février 1945, sont frappés de stupeur face aux pertes qu'ils rencontrent. Les 4 premiers jours à Iwo Jima coûtent davantage de pertes que 5 mois de combat à Guadalcanal. Mais les Japonais sont mal équipés, ils ne disposent plus que de 11 appareils en état de marche et d'à peine 70 canons automatiques de 25mm. Pour palier cette faiblesse, il décide d'enterrer ses défenses et de construire de nombreuses galeries (plusieurs dizaines de km) et abris (plus de  5000) afin de préserver ses hommes des bombardements américains. Pendant huit mois, les soldats, dans des conditions extrêmes (cette île volcanique produit sous terre des températures proches de 50°C), manquant de tout (vivres, eau, repos) vont bâtir ne formidable fourmilière. Malgré le stress et la conviction qu'ils ne reviendraient pas dans leurs foyers, les combattants nippons ont poursuivi leur mission avec discipline et efficacité. Chacune de leurs lettres sont des testaments écrits pour les familles avec sobriété ou émotion, leurs chants et poèmes témoignent de la culture militaire et du patriotisme profond qui ont été gravés en eux par leur histoire mais aussi les clauses du rescrit impérial au soldat (code institué à la fin du XIXème siècle).
Les hommes sont conquis par leur chef qui applique à lui-même les privations de ses unités, se déplace sur le terrain, apprend à connaître ses soldats et n'hésite pas à partager avec eux quelques mots (ce qui est rare chez les généraux nippons à l'époque). Grâce à cette force morale, les 20 000 Japonais vont tenir 36 jours face à près de 60 000 Marines. Ces derniers considèreront Iwo Jima comme leur fait d'armes le plus meurtrier et le plus difficile de leur histoire. La plupart des hommes de Kuribayashi mourront et lui-même perdra la vie lors d'un ultime coup de main. Chaque abri sera un champ de bataille, chaque mètres conquis un exploit pour les Américains. Pendant de nombreuses journées, les pistes aériennes demeurent interdites aux bombardiers, préservant le Japon des terribles bombes incendiaires.  Jusqu'au bout, il communiquera à Tokyo ses compte-rendu, son retour d'expérience, son analyse sur les choix stratégiques espérant même influencer l'empereur pour mettre en place un commandement interarmées plus efficient. Son dernier message, qui sera modifié pour les besoins de la propagande, dans sa version originale montre finalement le courage et la sensibilité d'un officier d'exception qui se sacrifiera, aux côtés de ses hommes, avec honneur et lucidité.

"La bataille est entrée dans sa phase finale.
Depuis la première offensive ennemie, mes troupes luttent
Avec un courage à faire trembler ciel et terre.
Face aux attaques terrestres, maritimes et aériennes de l'ennemi
Dont la supériorité matérielle dépasse même ce que nous avions imaginé
Et bien qu'ils se battent pour ainsi dire à mains nues, mes hommes
ont vaillamment poursuivi le combat
Et j'en retire une certaine satisfaction.
Hélas, sous les attaques violentes et continues de l'ennemi, ils sont tombés les uns après les autres
Et dans l'impossibilité de répondre aux attentes de l'Empereur
Je n'ai d'autre choix que d'abandonner ce territoire stratégique aux mains de l'ennemi.
Je vous l'annonce à mon grand regret
Et vous présente mes plus profondes excuses.
Nos réserves de munitions et d'eau s'épuisées
Nous nous préparons tous ensemble à l'assaut final."











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