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« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

vendredi 22 mai 2015

De la victoire…, perspectives historiques et réflexions contemporaines. (1/2)


 
Aujourd’hui, que l’on parle de conflits, de guerres, d’opérations ou encore d’interventions militaires, nombre d’observateurs sont souvent prompts à parler d’enlisement, d’échec, de violence contenue, d’instabilité chronique et d’efforts inutiles. Le terme de victoire semble avoir disparu du vocabulaire, cette notion ne correspondant plus aux engagements contemporains  rythmés par des missions dites de stabilisation, d’interposition comme de gestion de crise.
Pourtant, la recherche de la victoire, ce nouvel équilibre politique et militaire, a toujours accompagné la conflictualité tout au long de l’histoire et permet de donner un sens à l’action, notamment à celle des forces armées (mais pas seulement) déployées face à un adversaire ou, plus globalement, à une menace. Il apparaît donc intéressant de s’interroger sur les raisons de ce désintérêt pour la victoire ou pour sa remise en question permanente tout en mettant en perspective cette évolution par l’examen de ce mot au travers des exemples du passé.
Nous montrerons que si les manifestations de la victoire ont évolué avec la guerre et l’accélération du temps, les fondements de ce vocable sont restés les mêmes et doivent être exploitées, dans tous les domaines, pour vaincre et légitimer le combat et ce, du niveau stratégique au niveau tactique.


Les manifestations de la victoire dans l’histoire...
Depuis l’Antiquité, la victoire joue un rôle important que ce soit pour les militaires mais aussi pour les responsables politiques ou la population.
En Grèce, les différentes Cités vouent un culte à Niké (victoire en grec), cette divinité - sœur de la puissance (Cratos), de la force (Bia) et de l’ardeur (Zélos) mais aussi fille d’un Titan - caractérise ces métaphores qui mettent en avant les vertus de cette notion fondamentale en polémologie. D’ailleurs, les peuples la représentent et la célèbrent par des récits mythologiques ou des statues, à l’image, par exemple, de la célèbre Victoire de Samothrace. Au cours des guerres qui ponctuent cette époque, la victoire est acquise selon diverses appréciations. Un adversaire peut ainsi reconnaître sa défaite quand son champion est vaincu pendant un combat singulier, une Cité faisant ainsi allégeance au vainqueur, ou après une bataille, certains prisonniers étant transformés en esclaves. La guerre demeure l’affaire des citoyens et du stratège désigné (voire du roi) pour conduire les armées. Dès lors, la victoire est célébrée par la population (et son assemblée) et la défaite examinée avec autant d’ardeur afin d’en tirer des enseignements (changement de chefs, évolution de la stratégie, …).
Plus tard, Rome s’inscrit dans la continuité hellénistique avec des temples à la gloire de la victoire devenue divinité tutélaire, sous Auguste, après la bataille d’Actium. Des jeux de 7 jours sont organisés chaque année en son honneur et les symboles de la victoire décorent temples, villae et autres forums. Le triomphe des généraux, rentrant à Rome avec ses légions, devient une tradition qui permet à la population de saluer son armée victorieuse et de voir défiler les armes, trésors, bagages pris à l’ennemi ainsi que les prisonniers (en particulier les chefs) dont certains sont mis à mort. Gagner un conflit est alors synonyme de batailles remportées, de villes détruites ou ralliées, de renforts en troupes auxiliaires, de terres agricoles exploitées, de peuples soumis puis « romanisés » sur le long terme. Ce processus se caractérise également par une fusion culturelle de part et d’autres, le droit romain, la monnaie, le panthéon divin, la langue latine s’imposant ou s’adaptant aux particularités régionales (entrée de dieux orientaux dans certaines célébrations religieuses). La « Pax Romana », c’est-à-dire la sécurité, l’autorité, la souveraineté, le commerce assurés par Rome sur l’Empire symbolise la victoire au sens le plus large.
Au cours du Moyen-Âge, on assiste à d’autres manifestations de la victoire en lien avec le nombre de vassaux d’un suzerain, de l’importance de ses places fortes, comme des seigneurs faits prisonniers sur le champ de bataille et échangés après rançons. Si les confrontations armées demeurent importante, notamment lors de la Guerre de Cent ans, la victoire n’est que partiellement liée à la puissance d’un royaume ou d’un pays, mais plutôt attachée au succès d’une alliance entre nobles et de leur importance ou influence relative. Face à des menaces plus diffuses comme celle des Vikings par exemple, être victorieux se conçoit quand les pillages sont limités (protection des monastères et de leur patrimoine religieux) ou quand les accords conclus avec les envahisseurs (souvent financiers) permettent de préserver une région de raids meurtriers.  Avec les Croisades, la victoire prend la forme de la reconquête de lieux symboliques comme Jérusalem, de sécurisation des routes menant en Terre sainte et de la prise de contrôle de nouvelles régions (répartis en fiefs puis en petits royaumes). La population n’est que rarement associée aux instants victorieux, notamment du fait de la dilution, dans le temps et l’espace, des conflits mais aussi des faibles moyens de communication pour diffuser une information fiable et intelligible pour tous.
Avec la naissance des Etats, la guerre est partagée par le plus grand nombre et la victoire apporte des résultats concrets, qui vont des drapeaux pris à l’ennemi (et signifiant l’anéantissement d’un régiment) aux canons en passant par des places fortes, des territoires puis des traités de paix dument signés par les monarques ou représentants politiques des belligérants. La mise en place de la conscription et la levée d’armées de masse amplifiera au XVIIIème siècle ce phénomène. En effet, chaque citoyen ou sujet participe aux combats victorieux et apporte avec lui, dans ses foyers, les souvenirs des campagnes, voire d’épopées qui glorifient et donnent sens à la victoire. Avec Napoléon, les arcs de Triomphe refont leur apparition et les communiqués de l’empereur mettent des mots sur les succès, actes de bravoure ou progrès stratégiques sur l’adversaire.
Parallèlement au développement des journaux puis à l’avènement de la guerre totale, la victoire, ou les tentatives pour l’atteindre, envahit tous les domaines, de l’industrie à l’information (propagande) en passant par la ligne de front, l’éducation (mythe de la revanche), la doctrine militaire (offensive à outrance), les colonies et même la littérature. Etre victorieux, c’est brisé l’armée ennemie, préserver les frontières de la menace, s’assurer le contrôle des mers et imposer ses valeurs ou son système politique. Les civils ou non combattants sont alors autant victimes qu’acteurs ou contributeurs de la victoire. Des cérémonies (8 mai, 11 novembre)et défilés symbolisent des victoires mais aussi le baptême de monuments (ponts, rues, jardins) saluent les batailles victorieuses comme Iéna, Bir Hakeim, la gare d'Austerlitz ou la place des victoires.
Au cours du XXème siècle, au-delà de deux conflits mondiaux, la victoire n’est plus forcément liée aux résultats militaires mais aux arbitrages d’organisations internationales, aux décisions politiques (guerres de décolonisation) et aux enjeux économiques ou énergétiques. Les belligérants changent de nouveau de nature avec la réapparition des guerres irrégulières, l’action de mercenaires, celle de groupes armés, de terroristes, et le développement de ce qu’on appelle le combat asymétrique.
La menace ou les crises s’éloignent dans le même temps des pays occidentaux dont les sociétés de consommation cherchent à tout prix des résultats positifs à court terme, épris qu’elles sont de l’accélération du temps médiatique et de la paix gagnée depuis des décennies. Les expéditions lointaines, avec souvent des armées professionnelles, intéressent peu et ne suscitent pas l’engouement pour les évènements victorieux, y compris pour les commémorations mémorielles. La victoire, dont les fondements n’ont pourtant pas tant changé à notre époque contemporaine n'est plus une référence et a perdu son sens.
A suivre…

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