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samedi 2 janvier 2016

Comprendre l'art de la guerre napoléonien : Bonaparte en Italie.


L'album illustré, et largement commenté, de Stéphane Bertaud, que j'ai déniché lors de ces fêtes dans la boutique des Invalides, est un ouvrage de très grande qualité et d'une vraie valeur pédagogique et ce, afin de mieux comprendre le génie de Napoléon. En effet, en tournant les pages de ce "Bonaparte en Italie, naissance d'un stratège, 1796-1797", aux éditions Bernard Giovanangeli, on appréhende avec facilité les principes, la stratégie et les manœuvres de l'Empereur, comprenant, au travers de cette campagne italienne du jeune général Bonaparte, l'essence même de ce que seront ses victoires quelques années plus tard.
Le récit des différentes étapes, des marches, contremarches comme des batailles de l'armée d'Italie, de Nice jusqu'à Vienne, est éclairant dans ce livre, d'autant que les nombreuses cartes qui illustrent le propos, le font avec justesse.


Les peintures et esquisses d'Edouard Detaille, de Vernet, de Morel, de Lecomte ou de Lafaye donnent vie à la géographie des lieux (dont le rôle sera primordial), aux chefs charismatiques et aux soldats révolutionnaires, véritables professionnels de la guerre et outil remarquable entre les mains du "petit caporal". Quant aux encarts, ils apportent des informations précieuses, mais aussi une meilleure compréhension du contexte d'engagement, avec des développements sur la composition des forces de chaque belligérants, la formation intellectuelle de Bonaparte, son état psychologique, la qualité de son état-major commandé par Berthier, sa propagande, sa logistique, ses moyens de franchissement ou encore les qualités et défauts de son infanterie, de son artillerie et de sa cavalerie.
L'armée que commande Bonaparte au début de cette campagne d'Italie se compose de 47 000 hommes et quelques 60 canons (à peine 3000 chevaux). Ce sont des combattants en guenilles oubliés par Paris, mal nourris, mal ravitaillés et au moral en berne. Leur nouveau général va faire d'eux, par son charisme, son innovation tactique et son dynamisme, une force d'élite qui préfigurera ce que sera le noyau dur de la Grande Armée.
Face à lui, les Autrichiens aligneront jusqu'à 60 000 soldats et 200 canons mais les généraux austro-hongrois sont souvent âgés (Wurmser a 72 ans, Alvinczy a 61 ans) et imprégnés de conceptions opérationnelles dépassées alors que Bonaparte (27 ans) s'entoure d'officiers prometteurs comme Joubert (27 ans), Massena et Augereau (38 ans).
Mais le travail de Stéphane Béraud est de dresser une typologie des manœuvres napoléoniennes mises en perspective au travers des différentes batailles ou planifications du général français. D'ailleurs, influencé par Bourcet, Napoléon planifie toujours ses campagnes, créant mentalement des lignes d'opérations (pour utiliser un terme contemporain) et envisageant tous les cas non-conformes. Ce travail préparatoire lui permet de réagir à toutes les "frictions" de la bataille comme à Arcole ou à Castiglione. Pour ce génie en gestation, c'est le temps préliminaire qui importe avant l'engagement, le positionnement des troupes, le principe d'économie des forces (pour utiliser au mieux une ressource très limitée) et la saisie des opportunités. Aussi, pour l'auteur, qui s'appuie sur l'analyse de Camon, deux grandes catégories de manœuvres napoléoniennes:
"Si Napoléon dispose de la supériorité réelle (qui combine les aspects aussi bien moraux que purement numériques) sur le théâtre d'opérations principal il déploie une manœuvre sur les arrières. cette manœuvre consiste à fixer l'armée ennemie avec un corps secondaire de façon à permettre au corps principal de déborder son flanc et de couper ses lignes de communications." Ce sera le cas à Lodi et à la fin de la bataille de Castiglione.
"Dans l'hypothèse où Napoléon ne dispose pas de la supériorité réelle, il développe une manœuvre en position centrale. Celle-ci consiste à profiter de la division de l'armée ennemie en plusieurs forces pour se placer en position centrale et détruire successivement chacune des forces adverses. La détention de la position centrale confère en effet à Napoléon le contrôle des lignes intérieures plus courtes que les lignes à la disposition de l'adversaire pour se déplacer d'une aile sur l'autre. Dès lors, Napoléon peut concentrer plus rapidement ses troupes face à l'une des forces ennemies. Il peut donc retenir à l'aide d'un corps secondaire la force ennemie la moins menaçante tandis que le corps principal détruit la force adverse la plus offensive. Ensuite, il se retourne contre le reste de l'armée ennemie qui ne tarde pas à subir le même sort. Cette dernière catégorie se subdivise en deux types de manœuvres selon qu'elles interviennent dans un contexte offensif ou défensif.  La manœuvre en position centrale offensive est possible quand Napoléon est totalement libre de ses mouvements. Elle consiste, grâce à une offensive brusquée, à prendre le contrôle du centre du dispositif ennemi". Il le met en pratique à Carcare (Montenotte). Enfin, la manœuvre en position centrale défensive intervient quand les mouvements de Napoléon sont contraints par la défense d'une place ou d'un point particulier. Ce fut le cas à Castiglione. Souvent, néanmoins, Bonaparte fait une combinaison adaptée au terrain ou dans le temps de ces mouvements tactico-opératifs primaires comme à Arcole, Rivoli ou encore à Bassano. Au delà de cette approche manœuvrière, Napoléon sait qu'il faut parfois engager la bataille décisive dont l'archétype est visible à Castiglione. Il attire d'abord son adversaire dans un piège en affaiblissant une de ses ailes, puis il lance une attaque tournante pour couper la retraite à l'adversaire, il déclenche ensuite une masse de rupture (artillerie et infanterie) sur le point ennemi fragilisé pour enfin perforer la ligne ennemie et exploiter en poursuivant l'armée qui bat en retraite.
Toutefois, le génie de Napoléon trouve également sa source dans la vitesse de déplacement des masses de manœuvre (il gagnera ses batailles avec "les pieds de ses soldats") et par l'emploi des divisions voulues par le comte de Guibert, ces unités interarmes et autonomes progressant en colonne face aux lignes minces des armées d'ancien régime. Son système de commandement (estafettes et initiative des subordonnés) ainsi que son état-major sont de vrais atouts tout comme ses structures de soutien appuyées sur le terrain conquis et des lignes d'approvisionnement qui changent au cours de la campagne pour s'adapter au mouvement des troupes. Enfin, pour dissiper le brouillard de la guerre, il développe un réseau de renseignement efficace alors même qu'il masque à son ennemi ses déploiements par des rideaux de cavalerie étanches. On notera également son utilisation des tirailleurs en avant des colonnes de fantassins pour user l'adversaire, un emploi remarquable de l'artillerie et la nécessité de disposer de capacités de franchissement rapides. Bonaparte a compris que le terrain est incontournable dans son raisonnement tactico-stratégique et il travaille avec l'appui des géographes dans l'étude du théâtre d'opérations, dans le calcul des temps de trajet pour ses troupes et sur les atouts ou inconvénients du relief ou de la topographie (villages, routes carrefours, rivières, marais, montagnes,...). Il reprend à son compte les notions d'obstacles rayonnants (compartimentent une zone d'action) ou circonférentiels  (jouent le rôle de points d'appui ou de contre-mobilité) sur lesquels il s'appuient sur le plateau de Rivoli ou à Arcole pour en faire des "multiplicateurs de puissance". 
De ces brouillons ou esquisses de batailles italiennes, on peut donc voir se dessiner les batailles de l'empereur Napoléon, que l'on pense à Austerlitz, Iena, Wagram ou encore la campagne de 1813. Un livre donc à lire pour tous ceux qui veulent comprendre l'art de la guerre napoléonien.










 

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