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lundi 21 mars 2016

Paratroupes : tactique des troupes aéroportées par le lieutenant-colonel MIKSCHE. (2/2)


Nous poursuivons l'étude des écrits de l'officier tchèque (et français de coeur), le lieutenant-colonel MIKSCHE qui revient, en 1946, sur l'histoire et l'emploi des troupes aéroportées.
A partir du 4ème chapitre, l'auteur recentre son propos sur l'aspect doctrinal et la dimension tactique des "Paratroupes", unités regroupant les parachutistes, les unités commandos ou les forces conventionnelles projetées voire débarquées à terre avec des aéronefs.
S'il n'ignore pas que "les situations militaires s'accompagnent d'une telle variété de conditions qu'il est impossible d'en trouver deux de semblables. De ce fait, les plans d'opérations et les décisions du champ de bataille ne peuvent se calquer sur des schéma." il souhaite néanmoins donner des cadres type d'emploi des troupes aéroportées.

Il estime ainsi que ces dernières ne peuvent être lâchées avec succès dans les arrières ennemies sans un appui aérien efficace, ce qui demeure très moderne pour l'époque et qui aura, de manière prémonitoire, des conséquences lourdes en Indochine où ce principe sera parfois "oublié" (Dien Bien Phü par exemple). L'action de ces unités sur les flancs ou sur les arrières peut de la même façon avoir tantôt le caractère d'un enveloppement vertical d'envergure ou seulement celui d'un coup de main. Néanmoins, conformément aux principes clauzewitziens, (livre 6, chapitre 14), ces opérations ne sont pas des buts en soi mais doivent s'articuler avec la manoeuvre terrestre plus globale. Dès lors, le lieutenant-colonel MIKSCHE définit des actions indirectes (en périphérie mais concourantes à la bataille principale) et des actions directes plus limitées mais en contact étroit avec les forces au contact (exemple allemand à Eben Emael en 1940).
 
Les troupes aéroportées ont donc plusieurs objectifs :
-gêner l'ennemi dans ses mouvements (obstruer le trafic, saisie de noeuds routiers,...) à l'instar de l'engagement des parachutistes de Von Bock en 1942 pour ralentir la ruée des Soviétiques sur Kharkov ;
-fixer les réserves tactiques ennemies ;
-participer à la poursuite d'un adversaire en retraite en empêchant, notamment, toute tentative de regroupement de ses unités et le rétablissement de ses positions ;
-réaliser des coups de main pour préparer de plus gros atterissages ;
-guider des attaques aériennes dans la profondeur ;
-en défensive, pour harceler un assaillant ou encadrer des partisans.

L'auteur entre ensuite dans une série de considérations techniques afin de favoriser, dans le temps et dans l'espace, la mise à terre des hommes, que ce soit en parachutes, en avions ou en planeurs, ces derniers permettant d'amener principalement les véhicules de transport ou de combat (adpatés dans leurs dimensions) , alors même que ce mode de transport peut comporter des risques à l'atterrisage.
Quand il détaille l'organisation de la "division aéroportée", qui compense sa faible puissance de feu par sa mobilité,  il réfléchit déjà dans un cadre interarmées, élément qui gagnerait à être aujourd'hui repris en compte. En effet, de cette unité il traite du poste de commandement, des forces aériennes de soutien dédiées, des troupes et de la flotte aérienne de transport, les 3 état-majors des composantes travaillant ensemble au PC division. Cette grande unité décline également des unités légères (1er échelon) et lourdes (2ème échelon) réparties en brigades. Ces détachements "lourds" disposent de mortiers, de véhicules de transport et de canons (anti-chars ou sol-sol). En outre, il n'oublie pas que "le succès d'une opération aéroportée dépend largement du fonctionnement des services de transmissions", anticipant déjà le rôle crucial du "Command and control" contemporain. MIKSCHE, en bon planificateur, consacre le chapitre VII au mouvement aérien et à son organisation avant de revenir sur la conquête de la tête de pont. Il insiste sur l'importance du renseignement en amont et des reconnaissances puis décline, à partir de la zone de mise à terre, 3 périmètres : la "tête de pont aérienne", la "position périmétrique" et la "zone de débarquement". Ainsi, les brigades légères élargissent la position périphérique (y compris avec des coups de main lointains pour limiter la réaction ennemie) tout en déployant un réseau de transmissions viable et en assurant une bonne assistance (balisage, guidage, secours, déchargement,...) aux débarquements successifs de renforts.
Son chapitre IX met en avant la nécessaire et impérative coordination entre forces aéroportées et arme aérienne que ce soit pour le soutien comme pour l'appui air-sol et ce, une fois l'action engagée. Il rappelle que "l'arme aérienne a ajouté une troisième dimension à la bataille. Elle ne se livre plus sur un plan mais dans tout un espace. Le talent des chefs militaires se mesure à leur capacité de penser cet espace et d'agir dans les trois dimensions". Fort de ce constat, il étudie la combinaison des divisions de chasse, de bombardement qui disposent de forces aériennes d'appui direct, de forces de réserve et de vecteurs de soutien à distance (ou d'action d'ensemble). Il rédige alors un tableau synoptique d'emploi des aéronefs pour la préparation de l'opération, le transport et l'atterrissage et l'appui au combat terrestre.
Enfin, il innove, en tentant de donner les clés tactiques d'une bonne défense contre les opérations aéroportées ennemies. Il défend "l'expectative" ou "l'attente du choc" (sans parler de passivité) mais avec une importance accrue des facteurs moraux, en d'autres termes la résilience. Il propose la mise sur pieds de districts de défense autonomes mais reliés les uns aux autres avec des forces locales, chargées de freiner la progression des forces aéroportées, et des unités mobiles pour les anéantir. C'est une vraie toile d'araignée tissée pour briser la mobilité, cet atout si important des parachutistes. Il va ainsi jusqu'à détailler la protection des aérodromes au travers de croquis mêlant réseaux de barbelés, mines et casemates. C'est un véritable mémento du défenseur qui est décrit par l'auteur et qui mérite d'être approfondi comme mis au goût du jour.
En conclusion, un ouvrage très riche et d'une grande clairvoyance pour son époque avec des propositions qui gardent leur pertinence. En effet, à l'heure des adversaires asymétriques ou des stratégies anti-accès, les "paratroupes" paraissent plus que jamais comme un outil capable de donner l'ascendant dans les campagnes des théâtres d'opérations du moment. En effet, surprise, mobilité, ubiquité, initiative et profondeur sont des caractéristiques qui doivent permettre, en liaison avec des forces terrestres numérisées (de type Scorpion) de contourner les stratégies potentielles mises en œuvre face aux armées modernes ou occidentales. Une source d'inspiration donc pour penser la tactique de demain. 

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