Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

La bataille de Khalkhin Gol - 1939

La bataille de Khalkhin Gol (11 mai - 30 août 1939)

 SITUATION GENERALE 
Après l'occupation de la Mandchourie, au détriment de la Chine, en 1931, et l'établissement d'un État client, le Mandchoukouo, les ambitions japonaises se tournent vers les provinces d'Extrême-Orient de l'Union soviétique. Forte de la victoire japonaise en 1905 et de l'intervention en Sibérie lors de la guerre civile russe, une partie influente de l'armée japonaise cherche à influencer le gouvernement en vue d'ouvrir les hostilités contre l'Union soviétique. La zone frontière contestée se trouve entre le Mandchoukouo et la Mongolie.
DEROULEMENT DES OPERATIONS :
 La prise de contact et les premières erreurs nippones :
Durant le mois de mai, les Soviétiques franchissent plusieurs fois la frontière mais se retirent dès que les Japonais viennent au contact. Le 28 mai 1939, après une nouvelle incursion de l’Armée rouge, l’armée nippone réagit en envoyant un bataillon en reconnaissance offensive pour s’emparer de l’unique pont sur la rivière (Kawamata bridge) sans juger nécessaire de se faire appuyer par ces canons de 37mm. Les Japonais croient n’avoir en face d’eux que quelques gardes frontières qui seront battus rapidement, conformément aux écrits du manuel de 1933 qui définit les Soviétiques comme des soldats serviles et sans imagination. Après une progression difficile due au terrain détrempé, les Nippons rencontrent une force mécanisée bien retranchée, appuyée par l’artillerie. Les deux colonnes japonaises sont détruites en deux jours. Le colonel Azuma, qui commande l’une d’entre elles, perd huit officiers, 97 tués et 33 blessés sur 220 hommes. La 23ème division impériale est alors préparée pour mener une contre-attaque.

L’offensive japonaise 
Le 1er juillet, les Japonais reprennent l’initiative, envoient deux régiments sur les hauteurs qui dominent la rivière au nord (groupe Kobayashi), bousculent les soviétiques et traversent la Khalkhin Gol sur un pont du génie. Simultanément, une force blindée (73 chars) appuyant deux régiments d’infanterie attaquent les positions sur la colline Baru. Joukov, qui craint que son artillerie soit menacée sur les rives occidentales, engage sa force mécanisée (186 chars et 266 automitrailleuses) sans infanterie pour briser l’encerclement nippon. Malgré de lourdes pertes (120 chars détruits) liées aux mines, aux cocktails Molotov et aux canons anti-chars japonais, Joukov obtient le repli de Kobayashi, contraint par son unique point de franchissement qui vulnérabilise également sa logistique. A l’est, l’attaque japonaise se heurte aux défenses soviétiques (et surtout les 100 canons qui les appuient) et se limite à une guerre de positions. Le 23 juillet, les Japonais tentent une dernière percée frontale après une longue préparation d’artillerie (25 000 obus) mais perd 5000 hommes en deux jours sans résultats. Joukov a repris l’initiative, l’armée du Kwantung ne manœuvre plus.

La contre attaque soviétique du mois d’août 1939
Joukov prend le temps de concentrer ses moyens pour son offensive. Cette préparation échappe aux Japonais dont les reconnaissances aériennes sont gênées par la météo et dont l’état-major est convaincu, à tort, que la logistique soviétique est à bout de souffle si loin de ses bases (750 km au plus près).
Le 20 août à 5h45, un raid aérien de saturation soviétique (120 bombardiers) prépare l’engagement des troupes, suivi par le tir de 250 canons. Pendant une semaine, l’aviation empêche toute arrivée de renforts japonais en menant 474 missions et en larguant 190 tonnes de bombes.
Au sud, Joukov concentre ses blindés (320 chars et 1 brigade d’automitrailleuses) et enveloppe l’aile gauche nippone. Au centre l’infanterie fixe les troupes impériales pendant qu’au nord, un autre élément mécanisé cherche à ouvrir le verrou du mont Ioki. Ce dernier cède en 4 jours et l’étau se referme définitivement quand les Soviétiques engagent leur réserve. Les troupes japonaises se replient en désordre, vaincus par la foudroyance de la manœuvre des chars B7 et T26 russes. Enfin, malgré un âpre combat et 600 morts, une partie de la 23ème division japonaise est encerclée au sud de Nomonhan. Le 16 septembre, un cessez le feu est déclaré. Les japonais ont perdu 17 000 hommes, les Soviétiques près de 9000. La bataille de Khalkhin Gol est terminée.

BILAN ET ENSEIGNEMENTS 

Diversion et dissimulation 
Les Soviétiques font de l’art de la déception une doctrine et camouflent leur dispositif. Ils cherchent en permanence à leurrer les Japonais sur leurs intentions  en concentrant l’infanterie au centre du dispositif ou en faisant rouler des véhicules pour créer des nuages de poussière et simuler des transferts de forces. Le renseignement nippon est aveugle et ne saura jamais déterminer l’axe d’effort de Joukov.
L’appréciation de situation et la prise de risque
Tout au long de la campagne, l’état-major nippon montre son incapacité, lors des phases de planification, à apprécier clairement la situation. L’étude incomplète du terrain, la mauvaise affectation des moyens (pont du génie) et la sous-évaluation de l’ennemi conduisent à des conclusions erronées. En revanche, Joukov, de son côté, prépare son plan de manœuvre et n’hésite pas à prendre des risques calculés pour renverser la situation.
 La logistique
Les Japonais, à 250 km de leurs bases, ne disposent que de faibles moyens motorisés. Très vite, la logistique japonaise est insuffisante, les munitions manquent et certaines pièces d’artillerie ne peuvent tirer que 3 obus par jour. L’Armée rouge quant à elle, réalise un pont logistique invraisemblable que les Japonais ne peuvent imaginer. En effet, ils équipent une route d’approvisionnement  sur 750 km avec 5000 camions dont près de 1000 transportent du carburant.
L’emploi des réserves
Elle reste une des clés de la bataille. Les Japonais, persuadés que la concentration d’infanterie au centre marque l’effort soviétique, engagent très tôt leurs faibles réserves incapables de stopper les blindés russes venus du sud. Joukov, de son côté, utilise sa 212ème brigade aéroportée, non pas pour soutenir ses forces au nord qui peinent à conquérir la colline Ioki mais pour porter l’estocade sur les arrières  japonais.
Le combat interarmes et le rôle des blindés
Joukov a bien compris l’intérêt du combat interarmes et intègre les appuis dans sa manœuvre. L’utilisation des blindés est maîtrisée par Joukov qui fait le pari payant de contrer  l’assaut japonais avec des chars sans appui d’infanterie en juillet. Il refera d’ailleurs ce choix judicieux à Koursk contre les Allemands en 1943. En outre, lors de la phase offensive, il utilise sa supériorité en moyens blindés et motorisés en les concentrant et en cherchant systématiquement l’espace pour manœuvrer et pénétrer dans la profondeur du dispositif ennemi.