Bienvenue sur l'écho du champ de bataille

« L’écho du champ de bataille » a pour ambition de vous proposer à la lecture et à la réflexion des contributions sur des sujets relatifs à la stratégie, à l’art opératif, à la tactique et plus largement sur l’engagement et l’emploi des armées. Ces brèves, illustrations ou encore problématiques vous seront livrées sous le prisme de l’histoire militaire mais aussi sous celui des théâtres d’opérations d’hier, d’aujourd’hui, voire de demain. Des enseignements de grands chefs militaires de toutes les époques aux analyses polémologiques prospectives en passant par la doctrine ou aux équipements des forces françaises et étrangères. Gageons que vous aurez plaisir à lire ces articles ou à contribuer au débat. Bonne lecture…

Les Dardanelles - 1915-1916

L'expédition des Dardanelles
19 février 1915 - 9 janvier 1916
Contexte :

Dès le déclenchement du premier conflit mondial, la Turquie, dont l’armée a été réorganisée par l’Allemagne et qui demeure liée au Reich par de forts liens économiques, s’engage dans la guerre au côté de la « Triplice » avec pour ambition la conquête de territoires russes frontaliers. L'entrée en guerre de la Turquie oblige les Alliés à déployer des unités en Egypte ainsi que dans le Caucase.  En outre, les stratèges britanniques, par tradition sont d’ardents défenseurs de l’approche dite indirecte. En effet, face à la guerre de position qui fige la situation à l’ouest, les Britanniques et en particulier le premier Lord de l’Amirauté Winston CHURCHILL planifient une opération dans les Dardanelles. Celle-ci se limite initialement à une attaque navale alors que de nombreux officiers alliés réclament une action amphibie avec des moyens terrestres conséquents.

Forces en présence :
Entente : 5 divisions initialement, 14 au final. Empire Ottoman : 6 divisions initialement, 14 au final.

Déroulement de la bataille :

Phase 1 : L’assaut naval

L'attaque navale, prévue initialement le 19 février 1915, est retardée à cause des mauvaises conditions climatiques et ne débute finalement que le 26 février.  Les bombardements sont inefficaces face aux fortins côtiers turcs qui résistent avec des unités organisées et opiniâtres. De la même façon, l’opération de déminage des détroits échoue devant l’armée turque qui établit sans cesse de nouveaux champs de mines. Ces derniers causent ainsi la perte du cuirassé français Bouvet avec ses 600 membres d’équipage et endommagent 6 des 9 navires de guerre alliés engagés dans l'opération. Cette attaque incite les Turcs à renforcer leur dispositif dans le secteur des Détroits alors que les Alliés envisagent tardivement une opération terrestre en complément des moyens de la marine. L’effet de surprise a disparu.
Aussi, à compter du 25 mars, les Turcs constituent une armée, commandée par le général allemand Otto LIMAN von SANDERS, afin d'assurer la protection de la région.  Les tergiversations des Alliés laissent à cette force près d’un mois pour compléter les défenses côtières.

Phase 2 : Le débarquement

Le 20 avril 1915, les Alliés disposent enfin d'une force de 70.000 hommes, britanniques, australiens, néo-zélandais et français. A l'aube du 25 avril, ce corps expéditionnaire, baptisé ANZAC, renforcé de troupes françaises et commandé par le général britannique HAMILTON, débarque sur cinq petites plages, baptisées S, V, W, X et Y, au Cap Helles, à l'extrémité sud de la péninsule de Gallipoli.  Dans le même temps, d'autres troupes débarquent près de Gaba Tepe, à une vingtaine de kilomètres plus au nord. Ce dernier se déroule dans des conditions extrêmement délicates. En effet,  le courant marin déporte les troupes à près de deux kilomètres au nord du lieu prévu et les unités se retrouvent alors regroupées sur une petite plage cernée d'éperons rocheux.  Fort heureusement, l’attaque s'effectue sans résistance car les Turcs avaient jugé un tel lieu de débarquement plus qu'improbable.  Livrés à eux-mêmes, sans liaison avec l’échelon supérieur, des soldats doivent escalader la crête de Chunul-Baïr.  Ils sont alors repoussés par les forces turques aux ordres d’un jeune colonel, Mustapha KEMAL qui contrôle les sommets. 
Pendant ce temps, au Cap Helles,  si trois plages sont conquises facilement, l’assaut sur les secteurs W et V sont meurtriers. Enfin mis à terre le contingent allié demeure sur les plages et ne cherche pas à exploiter pour conquérir une tête de pont, se conformant ainsi à ses ordres d’attendre des renforts. Cette absence d’exploitation de l’assaut amphibie empêche l’ANZAC de conquérir la hauteur d’Atchi-Baba.  
Le 28 avril, les Alliés lancent enfin une offensive qui est repoussée.  A l'instar du front occidental, les positions se figent alors et les tranchées font leur apparition.
Jusqu'à la fin mai, plusieurs attaques alliées sont lancées, toujours suivies de violentes contre-attaques turques qui font, chez les Alliés, près de 20.000 victimes sur un total engagé de 70.000 hommes. 

Phase 3 : L’échec de la contre-attaque et le désengagement

Durant l'été, les Alliés mettent au point un nouveau plan pour relancer la guerre de mouvement dans ce secteur.  Cette planification s’appuie sur le débarquement de nouvelles troupes dans la baie de Suvla afin de bénéficier d'une supériorité numérique locale contre les défenses turques. Une fois la percée effectuée, le général HAMILTON veut couper en deux la presqu'île, large d'à peine treize kilomètres.
Très bon en théorie, le plan est cependant menacé par l'arrivée, dans le secteur, de renforts turcs. Le débarquement à Suvla est maintenu mais confié au général britannique STOPFORD, très âgé et dépourvu d'expérience opérationnelle. Les débarquements ont lieu durant la nuit du 6 au 7 août 1915 et ne sont suivi, une fois de plus, d'aucune exploitation.  Les unités, encore laissés sans instructions, avancent au hasard.  Le matériel est déposé sans aucune coordination et sans la moindre estimation des futurs besoins. Lorsque l'attaque alliée se déclenche enfin, le 10 août, les Turcs, qui ont renforcé leurs positions, la repousse. STOPFORD est alors remplacé par le général de LISLE qui lance un assaut frontal contre des hauteurs bien défendues et ce, sans résultats et laissant de nombreux hommes sur le terrain.
Le 15 octobre 1915, le général HAMILTON est limogé et relevé par le général MONRO.  Ce dernier, sans même avoir à débarquer, analyse la gravité de la situation et préconise l'évacuation. Les Alliés estiment alors que la retraite leur coûtera encore au moins 50.000 hommes.  Dans les faits, l'évacuation (100 000 hommes, 200 canons, 5000 animaux), qui s'étend du 18 décembre 1915 au 8 janvier 1916, demeure la seule action correctement planifiée de cette campagne et ne voit la perte d’aucun soldat allié.

Bilan :

Alliés :
147 000 morts
97 000 blessés
145 000 malades du fait des conditions sanitaires déplorables et d’un soutien inefficace.

Turcs :
154 000 morts
99 000 blessés

Enseignements tactiques et doctrinaux :

-          Les Alliés, malgré une idée ambitieuse d’ouverture d’un second front, ne mettent pas les moyens nécessaires à la réussite de l’opération initiale, que ce soit, par exemple, la constitution d’une force dotée de moyens terrestres ou de capacités navales de lutte anti-mines suffisants.
-          Une mauvaise analyse de la situation, du terrain et de l’ennemi conduit les Britanniques à n’engager que des moyens navals dans un premier temps, perdant ainsi tout effet de surprise et donc leur liberté d’action.
-          L’assaut terrestre intervient trop tardivement, permettant aux Turcs de renforcer leurs positions défensives.
-          Le choix des plages ne prend aucunement en considération l’état des défenses turques.
-          Une mauvaise gestion du temps, l’absence d’exploitation immédiatement après les débarquements empêchent tout succès et toute prise d’ascendant allié sur les forces turques.
-          La planification est incomplète (phase de débarquement uniquement), les mesures de coordination insuffisantes et le commandement des unités très faible, ce qui conduit à l’absence de concentration des efforts pour percer les défenses turques.
-          Aucune planification logistique n’est menée convenablement (hormis le désengagement) pour participer à l’économie des moyens, laissant des troupes dans une situation matérielle et sanitaire catastrophique.
-          Les initiatives d’unités isolées ne sont pas exploitées par le commandement qui s’acharne à conduire des assauts frontaux et massifs sans effet.
-          Dans un autre registre, l’absence de renseignement ne permet pas aux Alliés de détecter les concentrations ennemies à l’instar des renforts turcs de la baie de Suvla.
-          Enfin, le choix des officiers commandant la force expéditionnaire, souvent inexpérimentés ou peu imaginatifs montre le désintérêt allié pour ce front oriental alors que l’Allemagne détache un général qualifié et que la Turquie y positionne de jeunes officiers brillants comme le colonel KEMAL.